L'interview de Tallandier jeunesse

Tallandier jeunesse

Bonjour Florence Barrau, vous êtes la directrice de la récente collection Cétéki ? Cétékoi ? aux éditions Tallandier jeunesse. Pouvez-nous nous raconter la genèse de ce projet ?
Bonjour. Je travaille dans l’édition depuis très longtemps. J’ai commencé en 1995 au Seuil jeunesse où je suis restée pendant 10 ans et où j'ai développé, sous la responsabilité de Jacques Binsztok, le département jeunesse. Ensuite, j’ai travaillé en littérature adulte, j’ai monté une maison, les Grandes personnes. J’ai toujours navigué entre le livre illustré, le roman, la littérature. C’est un domaine où je suis assez à l’aise. Et c'est dans ce cadre que j’ai rencontré Nathalie Riché, aujourd’hui l’une des responsables éditoriales chez Tallandier. Elle s’occupe de tout ce qui est documents, livres d’actualité depuis trois ans. Tallandier est un éditeur connu avant tout pour ses publications historiques, il est une référence en la matière. Nathalie ayant elle-même chroniqué des livres jeunesse pendant des années pour ses activités de journaliste, elle a trouvé dommage qu’un éditeur légitime et pertinent comme Tallandier ne propose pas une offre jeunesse. Mais ce projet demandait beaucoup de temps. Elle m’a appelée. A cette époque je travaillais en free lance, comme encore aujourd’hui. Elle m’a demandé si ça m’intéresserait de développer avec elle une collection jeunesse pour Tallandier. C’était une première, Tallandier n’avait jamais fait d’ouvrages jeunesse.
Tout cela remonte à plus d’un an avant la sortie officielle des livres, donc vers novembre 2017. Entre temps, nous avons fait avancer le projet toutes les deux, nous avons regardé ce qui était le plus adapté au marché. Il y avait beaucoup de fictions ou des livres hybrides mêlant fictions historiques et documentaires. Nathalie avait envie de faire travailler des auteurs sur des textes qui relevaient de la fiction mais j’ai pensé que ce n’était pas une bonne idée, que cela avait déjà été fait. Si on voulait fonctionner en terme de collection, il fallait proposer autre chose.
Par ailleurs, il existe une collection chez Tallandier qui s’appelle « En 100 questions », que j’ai consultée. Par rapport au public qu’on voulait viser, les 9-12 ans environ, sur l’histoire qui est encore perçue comme assez rébarbative, il fallait quelque chose de très complet et précis, mais aussi des découpages et une navigation dans le livre plus adaptée aux préoccupations, au fonctionnement, à la façon de consommer le livre des enfants d’aujourd’hui. Et puis, il fallait que ce soit attractif et illustré.
A partir du moment où on a défini le concept, j’ai constitué une équipe : une directrice artistique, des auteurs pour faire des premiers essais car Tallandier m’a demandé de faire un pilote avant de se lancer. C’est un projet coûteux avec une prévision d’environ 8 titres par an. Ils avaient aussi besoin des retours de leurs équipes commerciales. C’est comme cela que nous avons travaillé pendant un peu moins d’un an.


Est-ce vous qui démarchez les auteurs/autrices en fonction des sujets retenus ? Quelles sont les consignes d’écriture qui leur sont données ?
Pour moi, c’était important de faire appel à des auteurs qui ne soient pas des historiens. Je voulais avant tout des auteurs jeunesse. Même si certains ont vraiment des compétences en Histoire, le critère de sélection était d’être un auteur qui connaît bien la jeunesse, ce public-là, qui soit capable d’apporter un regard différent sur l’Histoire. Ils vont aller piocher des anecdotes et vont avoir une façon d’aborder les thématiques qui ne sera pas du tout celle des historiens. C’est ça aussi l’enjeu de la collection : à travers 50 questions qui vont respecter un certain nombre d’informations (et pour cela on travaille avec le conseiller historique pour baliser ce qui est indispensable à présenter aux enfants), les auteurs, avec mon aide, sont libres de les restituer à travers leur prisme personnel. C’est l’enjeu qui fera que la collection va se distinguer et qu’elle va réussir.
Les illustrations ajoutées ne sont pas redondantes, elles apportent de la légèreté, ou parfois certaines périodes historiques ou sujets comme Jeanne d’Arc ou la Première Guerre mondiale montrent aussi des scènes plus tragiques. Il faut rendre les concepts compréhensibles de façon très simple et c’est cela le plus dur.
Nous travaillons en binôme avec Nathalie même si c’est moi qui dirige les livres, les orchestre. Nous décidons ensemble de la programmation, des auteurs.
Louis XIV a été le pilote, écrit par Hortense de Chabaneix et Martine Laffon. Martine est philosophe de formation. Et elle a cette petite faculté de proposer des choses qui ne sont pas vues et revues. En cela, Louis XIV est peut-être un peu plus fantaisiste. Le personnage s’y prête aussi. La volonté, c’est d’avoir des propositions différentes. Anne Terral, qui a écrit Cléopâtre et La Préhistoire, m’a beaucoup surprise. Dans la forme, dans le style, elle soulève des idées, amène des questions pour que ce ne soit pas toujours la même chose.
C’était une volonté de ne pas travailler avec les mêmes auteurs, les mêmes illustrateurs à chaque fois, de façon à ce que les livres, même s’il y a un tronc commun, ne se ressemblent pas.
Après nous avons décidé d’unifier la couverture. Le principe est assez clair, on identifie bien la collection avec des fonds de couleur très pétants, des personnages. Mais tout cela va évoluer quand il s’agira de périodes et quand la collection va s’étoffer.
Nous faisons faire des essais aux auteurs pour être sûres qu’ils ont bien compris parce que ce sont des choses assez difficiles à faire. Nous travaillons beaucoup sur les textes. Il y a beaucoup d’allers et retours entre moi et les auteurs parce qu’au début, on s’était dit qu’on ferait 2000 signes maximum (par question), mais on s’est rendu compte qu’il fallait aller plutôt vers 1500 signes par rapport à la maquette, pour avoir un rendu convenable graphiquement parlant. C’est très court, surtout quand lorsqu’il s’agit d’informations historiques. Cela peut être très compliqué car souvent les enfants n’ont pas tous les éléments. C’est là où je travaille beaucoup avec les auteurs. D’abord ils écrivent leur texte, je le revoie avec un œil que je m’efforce d’avoir celui du jeune lecteur qui ne sait pas grand-chose. Il faut articuler l’information de façon à ce qu’elle soit rapidement compréhensible pour le lecteur et en même temps, il faut que ce soit léger, court, efficace. Moi je travaille d’abord le contenu et après je retravaille la forme. On fait ça en deux temps. Il peut y avoir jusqu’à quatre ou cinq versions. Nous veillons aussi à garder la chronologie, à faire des renvois d’une question à l’autre. C’est très difficile d’être concis, clair, drôle en plus et de donner, traiter certaines questions graphiques en dynamisant tout ça.
Les cadres « Le savez-vous ? » sont arrivés après parce que nous nous sommes aperçues qu’en terme de budget, nous ne pouvions pas demander à nos illustrateurs de faire plus de vingt cinq dessins mais il restait vingt cinq questions qui n’étaient pas illustrés. Nous avons rajouté des « Le savez-vous ? » en plus pour habiller les pages. Donc il a fallu les trouver, nous avons créé des infographies quand c’était possible, mis des cartes, une à deux par livre, des pictogrammes. Tout ça c’est nous qui l’inventons, moi, la graphiste, l’auteur, l’illustrateur, nous travaillons de concert ensemble.


Je connaissais surtout Sophie Lamoureux, et je venais justement de lire un autre livre d’elle sur le soldat inconnu quand j’ai lu ensuite La Première Guerre mondiale. Et j’ai été agréablement surprise de cette synthèse et de ces anecdotes que je n’avais pas lu ailleurs, malgré tout ce que j’avais déjà pu lire sur le sujet. Parce que l’Histoire, c’est aussi cela.
Oui, il ne faut pas que les enfants considèrent l’histoire comme quelque chose d’indigeste. A l’école aussi, il faut qu’ils se la réapproprient. Nous essayons de faire un bon compromis entre les deux : avoir des textes très sérieux avec des chiffres, des données ; et d’autres plus anecdotiques et qui parlent d’un épisode que l’auteur a retenu parce qu’il existe et est très évocateur de la période. Comme les auteurs sont très curieux et connaissent bien leur sujet, ils vont lire beaucoup et raconter une anecdote qu’on ne connaît pas du tout. C’est passionnant, ça permet d’avoir un nouveau regard et de créer des passerelles. Pour que ces enfants voient que les enjeux sont les mêmes, que ce ne soit pas coupés d’eux. Cela dépend aussi des sujets. Sur la Préhistoire, c’était plus compliqué parce qu’on a peu d’informations, c’était plus difficile de rendre cela vivant. Chaque livre implique de réfléchir différemment. Et il ne faut pas que cela soit redondant, pas poser toujours les mêmes questions. C’est en cela que c’est un travail d’équipe.
Une fois que nous avions décidé cela, il allait falloir s’appuyer sur la prescription, les enseignants, les bibliothécaires, les CDI, les parents, les libraires. Nous savions que ces livres allaient prendre du temps à se mettre en place. C’est une des difficultés de ce genre de projet aujourd’hui. Les rotations sont très rapides, c’est la chasse au best seller. Ces collections relèvent plus du parascolaire, c’est en tout cas perçu comme ça par pas mal de gens. Moi, je pense qu’on est entre les deux, entre la fiction et le parascolaire. Il faut que ces livres soient identifiés par des gens qui vont les faire durer, les faire exister sur la longueur. C’est un des enjeux de l’avenir de la collection. C’est un travail de longue haleine, le but est que le livre reste sur les étagères, qu’il soit identifié, que les gens commencent à les acheter et que la prescription suive.
C’est un peu mon inquiétude pour les mois à venir, j’ai l’objectif de clore une année sur 2019 avec un rythme de huit titres par an, de façon à être présent et à alimenter le flux. Il faut être présent au début pour lancer une collection. Il faut donner le temps aux gens, aux potentiels lecteurs et acheteurs de remarquer la collection.
Cela veut dire un investissement en terme de temps et d’argent.


Quatre premiers titres sont sortis en septembre 2018 pour le lancement de la collection : Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Louis XIV et La Première Guerre mondiale. Quels sont les prochains livres à paraître ?
Après ces quatre premiers titres, deux arrivent en janvier (Jules César et La Préhistoire), en avril deux autres titres (Napoléon et L’Égypte des Pharaons), en septembre 2019 Les Gaulois et Léonard de Vinci et en novembre 2019, il y aura Les dieux grecs et Les grandes découvertes. Nous avons encore beaucoup d’idées pour la suite mais pour l’instant, les auteurs sont en train de travailler sur ceux-là. En début d’année prochaine (2020), on fera un bilan pour voir ce qui se passe et voir si ça fonctionne, si Tallandier envisage d’aller plus loin sur ce type de projet.

Fabien Jouan, professeur agrégé d’histoire-géographie travaille aussi sur cette collection. Quel est son rôle ?
Fabian Jouan intervient au tout début. Il travaille avec nous depuis la conception de la collection. Il nous a fait une liste des sujets et personnages qui faisaient partie des programmes de notre cœur de cible (6è-5è). Il nous a dit aussi de façon élargie ce qui pouvait être le plus amusant. Nous essayons au maximum de suivre les programmes mais il y a aussi des sujets qui nous apparaissent tellement plus légers, plus funs. Par exemple, l’Égypte des pharaons est sortie des programmes mais il y a à la Villette en mai 2019 l’Exposition Toutankhamon. Nous avons donc fait le choix de sortir ce livre en mai pour rebondir sur l’actualité. Comme La Première Guerre mondiale, nous ne pouvions pas manquer le centenaire. Et c’est d’ailleurs un des livres qui a fonctionné le mieux à la rentrée. Les gens ont fait des chroniques liées aux commémorations. C’est inévitable qu’il faut surfer sur l’actualité.
Pour les débuts, comme tous les éditeurs, nous avons choisi des incontournables comme les grands personnages historiques, les grandes périodes, même si on a envie d’affiner, d’aller sur des choses plus originales comme Léonard de Vinci. La collection avait besoin de s’installer avec des textes purement historiques et elle va s’ouvrir à des sujets plus larges. J’ai par exemple envie de faire les Vikings même si ce n’est pas dans les programmes.
A partir des listes de Fabien, on choisit, lors de comités éditoriaux tous les 6 mois, pour la programmation à venir, avec Xavier de Bartillat qui est le PDG de Tallandier et historien lui-même. Il exprime son point de vue. Puis je trouve les auteurs, je travaille avec Laurence Moineau, la directrice artistique pour trouver des illustrateurs.
Mais comme les auteurs ne sont pas des historiens, ils passent beaucoup de temps à se documenter, c’est vraiment un temps
supplémentaire pour eux. Pour leur permettre d’aller plus vite, nous avons demandé à Fabien de proposer une liste de 50 à 60 questions qui lui semblent indispensables sur le sujet choisi. C’est un travail très utile mais ce n’est pas un fil conducteur à respecter pour autant. Fabien propose des questions très sérieuses, parfois très pointues qui ne vont pas intéresser les enfants ou qui vont trop dans le détail. J’invite les auteurs à regarder, à se nourrir de cette liste et à bâtir leur propre sommaire de 50 questions qu’ils doivent reformuler et pour lesquelles ils vont trouver des angles d’attaque très différents. Et le but est de ne pas faire d’impasse. Nous avons réussi à couvrir les points et les notions importants, même s’il y a des personnages pour lesquels on ne peut pas tout évoquer. Par exemple, Napoléon est un personnage très compliqué parce qu’il y a tellement d’événements ! On est obligé de faire des raccourcis.
Le but est d’ouvrir des portes, de donner quelques informations et si un enfant veut en savoir plus, il saura s’orienter vers d’autres titres. Les enfants peuvent aussi partir de l’index pour chercher plutôt une notion. On doit leur faire confiance quant à l’utilisation qu’ils vont en faire. Même si ces livres ont été pensés pour une lecture continue.
Comme je ne suis pas historienne, ça me permet d’appréhender l’Histoire d’une autre façon que ne l’aurait fait un historien. J’apprends en même temps que les futurs lecteurs.
Fabien fait une première lecture lors du premier rendu de l’auteur, en parallèle de la mienne et de celle de Nathalie. Ils me font un retour que je vais compiler avec mes propres remarques. C’est là que je vérifie qu’il n’y a pas de grosses erreurs historiques.
Et quand le texte est validé, je le fais relire par un spécialiste de chez Tallandier, l’un des historiens qui travaille pour eux en adultes. Mais il faut aussi faire un tri dans ces remarques pour que cela reste pertinent pour les enfants. Nous corrigeons bien sûr des points historiques qui étaient importants sur des coutumes, des usages...
En somme, cela fait beaucoup de lectures, beaucoup de personnes mais c’est pour le mieux. J’espère que cette collection va trouver son public.


Je vous le souhaite aussi. J’ai été agréablement surprise par ces livres qui sont entre le documentaire et la fiction et qui montrent une vraie légèreté.
C’est une collection, il y aura forcément des titres plus réussis que d’autres. Moi j’aimerais que les lecteurs et les prescripteurs prennent conscience que nous proposons des livres très qualitatifs et pas chers du tout.
Après je ne sais pas si ça va marcher assez vite pour que Tallandier continue à suivre la collection.
Quand on fait de la qualité, les choses s’installent au bout d’un an parce qu’il y a la prescription, les prix, les sélections de l’Éducation nationale. C’est un travail de longue haleine et il faut être soutenu par un certain nombre de gens. Mais ce n’est pas facile, il y a beaucoup d’acteurs, il y a trop de livres. Il faut se faire sa place et ce n’est pas facile pour un éditeur comme Tallandier qui n’est pas un éditeur jeunesse.


Quelle communication aviez-vous pensé pour parler de cette collection, que ce soit envers les blogs ou autres ?
Je n’ai pas la main sur la communication. Sybille Dapoigny a tous les contacts, a du communiquer auprès des blogs. Mais nous n’avons pas pu aller à Montreuil cette année car c’était trop cher de prendre un stand pour quatre titres. C’est pour ça que la prescription va être essentielle. Il faut que Tallandier continue à envoyer de l’information à tous les acteurs que sont les CDI, les bibliothécaires pour qu’on soit identifié et que le travail fait soit relayé, que ça puisse donner lieu à des invitations d’auteurs par exemple.
Moi j’ai peur que les livres ne restent pas chez les libraires, qu’on nous dise ça ne marche pas, pensant que les livres ne sont pas bons, alors que ce n’est pas le cas. Les libraires en prennent un ou deux pour voir mais c’est à chacun de faire son travail pour faire vivre cette collection.


Un dernier petit message pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Je salue l’initiative de Tallandier, il y a encore des éditeurs qui prennent des risques. L’Histoire reste essentielle, et en ce sens, ils essaient de proposer des choses qui sont adaptés aux lecteurs.

Je vous remercie énormément d’avoir répondu à mes questions et je vous souhaite une belle réussite pour cette collection !
C’est moi qui vous remercie de votre intérêt.

Interview réalisée le 21/12/2018.