L'interview de CAUSSE Rolande

CAUSSE Rolande

Bonjour madame Rolande Causse,

Parmi votre riche bibliographie de livres pour la jeunesse, la quasi totalité des fictions historiques abordent la Seconde Guerre mondiale.
Rouge Braise est votre premier roman largement autobiographique paru en 1970. Comment a été accueilli ce texte par les éditeurs d’abord, par les lecteurs ensuite ? Avez-vous rencontré des difficultés pour publier ce texte sur un événement historique de grande ampleur et encore récent ?

L’éditeur, Pierre Marchand directeur de Gallimard Jeunesse l’a accepté immédiatement. Il est paru en même temps qu’un texte de J.M.E Le Clézio. J’en étais émue et fière. J’ai fait un gâteau pour mes enfants.


Rouge Braise est un roman court, écrit au présent de l’indicatif, avec essentiellement des phrases très brèves, parfois sans verbe. Par ce mode d’écriture, vous faites de votre lecteur un témoin direct plutôt qu’un simple découvreur d’un événement historique.

Je ne sais pourquoi mais encore récemment une classe de 6e m’a dit son emballement. Spontanément les lecteurs s’identifient à l’héroïne. Il y a dans ce texte quelque chose d’une écriture intérieure : "la peau de l’écrivain" disait Roland Barthes.

Les romans historiques jeunesse sur la Seconde Guerre mondiale sont très nombreux et pourtant
Rouge Braise est devenu un classique, un incontournable, largement recommandé aux enfants de fin de primaire et niveau collège. Comment vous l’expliquez-vous ?

Peut-être parce que c’est une expérience qui relate des faits vrais. Et j’ai trouvé le fil qui raconte les événements, sautant du réel à l’épique, du léger au grave, jusqu’au gravissime. Le rythme se veut musical et entraine le lecteur.

Les Enfants d'Izieu, Oradour la douleur ont été écrits sous forme de prose poétique. Pour vous, l’indicible, les pires douleurs, les souffrances ne peuvent être « racontés » que grâce à la poésie ?
Oui. Dans ces tragédies, on doit ne laisser sourdre que les mots indispensables. J’écris toujours sur une corde tendue à l’extrême. Je suis funambule qui tient, retient les mots superflus, tout en laissant s’exprimer l’émotion. Ce qui m’émeut m’entraîne vers le poétique.
Dans Les Enfants d'Izieu, une jeune lectrice m’a dit : les blancs sont là pour pleurer.
Et je suis en train de travailler sur une biographie de Charlotte Delbo. Tous ses livres sur Auschwitz, sur les camps d’extermination possèdent la force de l’écriture poétique.


En 2007 paraît le livre La Guerre de Robert, sous une forme originale : un dialogue entre le Robert Jeune qui a vécu la guerre et le Robert Adulte d’aujourd’hui. Il était important pour vous de rappeler aux jeunes lecteurs d’aujourd’hui que la Seconde Guerre mondiale, la Shoah n’était pas que de l’Histoire, mais aussi un vécu douloureux ?
J’aime mêler l’histoire d’une famille et la grande Histoire. Je pense que chacun est structuré par le passé. Et je voudrais être une passeuse de mémoire. Laisser une trace de ces événements lointains pour les jeunes d’aujourd’hui.

Vos deux livres Oradour la douleur (2001) et La Guerre de Robert (2007) ont été réalisés en étroite complicité avec l’illustrateur Georges Lemoine. Pouvez-vous nous raconter cette rencontre ? Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble ?
Il y a longtemps que je travaille avec Georges Lemoine. Il possède un talent immense. Nous sommes amis. De la même génération, nous sommes toujours en accord sur texte et images.

L’album Alex et Léon dans les camps français, 1942-1943 (2013) fait suite à Ita-Rose paru en 2008, également aux éditions Circonflexe. Dans ce second titre, vous mettez l’accent sur le vécu des enfants de la famille Halaunbrenner, même s’il est bien sûr indissociable de celui de la mère Ita-Rose. Et c’est aussi l’occasion d’aborder un sujet moins connu, celui des camps d’internement français qui parsemaient le territoire ?
Oui, pour les jeunes et les moins jeunes, je souhaite aborder des sujets qui ne l’ont pas encore été. Les camps français sont très mal connus. Et ces deux albums forment un tout.
Il est important, il me semble, que des faits, peu connus encore mais ayant existé dans notre pays et qui font l’objet de Mémoriaux aujourd’hui, fassent partie des lectures de jeunes et moins jeunes contemporains.
Et j’espère qu’un 3ème album verra le jour. Car Ita Rose était, dès 1946, au courant de la Shoah par balle.


Et puis fin 2013 paraît une biographie sur Janusz Korczak aux éditions Oskar. Véritable défenseur des enfants et martyr de la Seconde Guerre mondiale, cet homme pourrait-il être l’un de vos héros ?
J’ai eu de l’empathie avec Janusz Korczak. Avec son amour des enfants, avec son désir d’écrire pour eux, avec ses réalisations incroyables et novatrices dans son orphelinat… Mais aussi avec son humour, son intelligence et sa générosité. N’est-il pas à la base des DROITS DE L’ENFANT ?

Avez-vous d’ores et déjà d’autres projets littéraires jeunesse sur la Seconde Guerre mondiale ou sur d’autres périodes historiques ?
Oui, le 15 mai sort un album sur la suite de la rafle du Vélodrome d’Hiver en juillet 1942. L’envoi des familles dans les camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande. Un texte court : une vieille femme raconte ce qu’elle a vu du camp de Pithiviers.
Album artistique, illustré par Gilles Rapaport, et destiné à tous les lecteurs. Éditeur : le Cercil musée des camps du Loiret.

Les Enfants d'Izieu viennent de reparaitre en édition de poche aux éditions Oskar. Ces éditeurs projettent aussi de reprendre, remis en pages par G. Lemoine Oradour la douleur.
Par ailleurs, j’ai publié deux biographies aux éditions Oskar : Federico GARCIA LORCA (poète assassiné par les franquistes en 1936) et CAMILLE CLAUDEL, sculpteur morte de faim en 1943 à l’asile de Montfavet).


Auriez-vous un dernier message à transmettre aux lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Pour moi il est important de connaître le passé. Ce savoir permet de réfléchir et structure l’intelligence. J’aime semer des grains de lumières. L’Histoire offre la connaissance des faits mais possède aussi un côté fiction qui alimente l’imaginaire. Peut-être, avec mes livres, les enfants, les jeunes se souviendront mieux des moments graves de notre passé.

Mais remontant le temps j’ai écrit Sarah de Cordoue qui se passe au XIIe siècle dans cette époque merveilleuse où les trois religions monothéistes cohabitaient en paix absolue.


Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.

À mon tour, je vous remercie d’avoir lu avec exactitude et finesse mes livres.
Rolande Causse.