L'interview de WEULERSSE Odile

WEULERSSE Odile

Bonjour madame Weulersse,
Vous avez été enseignante de philosophie, de cinéma. Et finalement, votre bibliographie est essentiellement composée de romans historiques pour la jeunesse. Comment est né cet intérêt pour l’Histoire ?


Isabelle Durand, bonjour.

Je me réjouis beaucoup que vous vous intéressiez à mes livres dans le cadre de votre travail. Vos questions sont pertinentes et j'y répondrai le mieux possible.

Si les intérêts de mon parcours professionnel ont été divers et inattendus, c'est que je n'ai jamais pensé à un métier tout au long de mon adolescence. Dans ces temps déjà lointains, les familles bourgeoises demandaient à leurs filles de se marier et de faire des enfants. Dans ce but je me suis inscrite aux Sciences politiques  (diplôme qui était plus facile à l'époque) et je me suis mariée.
Après quelques "petits boulots" et deux enfants, j'ai envisagé un vrai métier. Des amis m'avaient fasciné par leur culture philosophique et j'ai décidé de passer l'agrégation de philosophie et de devenir enseignante. Ce que j'ai exercé dans divers collèges plus ou moins loin de Paris.

Lorsque l'université de la Sorbonne a crée un diplôme sur les médias, il me fut proposé par Pierre Miquel, directeur du diplôme, de poser ma candidature pour l'enseignement du langage cinématographique. (je connaissais bien le cinéma.) Ce qui nécessitait une thèse de troisième cycle, que j'écrivis.

L'écriture, l'enseignement, la famille  ont occupé tout mon temps. Puis mes enfants ont grandi, Pierre Miquel me fit la proposition suivante : le directeur de Hachette jeunesse souhaite relancer des livres historiques pour la jeunesse, est-ce que cela t'intéresserait d'écrire Les pilleurs de sarcophages. "J'ai dit oui, (sans rien savoir de l'Egypte), l'angoisse au cœur. L'aventure que l'on me proposa d'écrire ne me plaisait pas du tout, car elle montrait l'excès de pouvoir du Pharaon, et la misère du peuple. Or la misère n'est pas particulière à un pays, et malheureusement existe (à certaines époques ) dans toutes les civilisations. Or ce que j'aime montrer c'est la grandeur d'une civilisation particulière, ce qu'elle invente comme architecture, religion, économie, art de vivre. Donc j'ai voyagé en Egypte ( je ne peux pas écrire sans voir l'espace dans lequel s'agitent mes personnages), et je me suis plongée dans la documentation. Avec délices. Avec enthousiasme.

Il était normal que je retrouve la Grèce où sont apparus les premiers philosophes. "L'ignorance est le plus grand des maux," explique mon philosophe dans Le messager d'Athènes. Il est rare toutefois qu'un élève ait gardé en mémoire cette importante vérité, et n'ait pas préféré le souvenir d'aventures considérées (à tort) plus exaltantes.


Vos romans abordent de nombreuses époques, allant de l’Antiquité au XVIIIe siècle. Vous êtes moins attirée par l’histoire contemporaine ?
Vous avez raison, je préfère l'Antiquité et le passé à l'histoire contemporaine. J'aime les chemins de terre, les pieds nus ou chaussés de sandales qu'on évite d'utiliser, j'aime les fantaisies des dieux, l'atmosphère de village même dans les capitales, le bruit du vent ou des chansons, la cohabitation avec les ânes et les chèvres bref l'enfance des civilisations, au mieux leur adolescence. Quand la vie sur terre se transforme avec l'invention du moteur à explosion mon imagination stagne. Aucune automobile ne me fait rêver. Je les ignore. Par contre la moindre charrette, le bœuf qui la tire en se battant avec les mouches, la grosse femme en larges jupons assise derrière le cocher au chapeau de paille ou de coton, m'engage dans une aventure.

Plutôt étonnant pour des romans historiques, tous sont écrits en utilisant le temps du présent et non pas le passé comme on le trouve plus couramment. Pourquoi ce choix ?
Mon premier livre, Les pilleurs de sarcophages a d'abord été écrit en utilisant le temps du passé. Pierre Miquel, qui était directeur de la collection, m'a dit : "ce serait mieux au présent". J'ai donc tout réécrit, à la machine à écrire, pas encore électrique ! Certains professeurs m'ont reproché ce choix. A leur adresse, j'ai terminé Le serment des catacombes  par la phrase : "j'aurai préféré qu'il resta gladiateur".

N’étant pas historienne de formation, vous vous plongez dans de longues recherches documentaires pour chacun de vos romans. Les visites de lieux, les archives imprimées, la littérature déjà publiée sont certainement des sources indispensables. Depuis l’arrivée d’Internet, vos recherches sont-elles facilitées ?
En ce qui concerne les recherches, j'utilise, bien sur, internet, que je trouve très utile pour les renseignements précis : dates, lieux, personnages.  Mais je ne sais pas bien lire un texte long sur internet. Soit je le photocopie, soit j'achète le livre, si possible bon marché, ou si possible dans une librairie.
Donc je ne peux pas dire qu'internet ait beaucoup changé ma manière de travailler. C'est plutôt un instrument quotidien :  je l'interroge tous les jours, sur l'Histoire, un film, un auteur, un personnage momentanément médiatique, etc. Mais pour réfléchir j'ai besoin d'un livre. De son format, de sa couverture, de la possibilité d'immédiatement revenir en arrière, de souligner, de commenter, de l'avoir à portée de main.
J'ai passé mon enfance avec les livres, lus et relus.


Quand vous écrivez un roman historique, qu’est-ce qui vous passionne le plus ? Décrire en détails les lieux, les personnages historiques, le mode de vie d’une époque ? Ou imaginer le récit, l’aventure qui va amener le jeune lecteur à s’intéresser à l’époque historique décrite ?
Vous me demandez ce qui me passionne le plus ? La documentation ou l'aventure ? Les deux, à parts égales. La documentation est plus facile, il suffit de savoir lire et de s'émerveiller de ce que les hommes ont su faire au fil des siècles. Par contre, inventer, sortir quelque chose de soi, un personnage, une construction romanesque demande de grands efforts mais donnent aussi une satisfaction qui n'a point d'équivalent. Quand je commence un livre, je ne sais pas ce que je vais raconter... c'est un suspense : sur le livre et sur moi. Que serai-je capable d'inventer ? Pour moi cela reste difficile, éprouvant, mais procure une émotion unique.
Pour cela je m'enferme à la campagne : j'ai besoin d'être seule avec mon livre, sachant que les moments où l'on trouve des idées, où l'on se sent l'énergie de travailler, ne sont pas programmables d'avance. Ils peuvent arriver sous la douche, pendant la promenade, pendant la sieste, devant l'ordinateur, et il est nécessaire que personne ne me dérange à ce moment là.



Depuis votre premier roman paru en 1984, votre succès ne se dément pas. Tous vos livres sont régulièrement réédités. Plusieurs titres font partie des recommandations de lecture des enseignants de collège. Comment vous expliquez-vous tout cela ?
Je n'oublie jamais mes lecteurs : ce que je découvre, j'aime leur faire partager. Le plaisir est double : découvrir et faire découvrir. Je me réjouis d'avance des surprises, des émotions que certains ressentiront à certains passages d'un livre. (J'ajouterai que dans la vie courante, quand j'apprends quelque chose et que j'essaye vainement d'y intéresser quelqu'un d'autre, je suis déçue, voire attristée.) Bref j'ai un tempérament d'enseignante.


Les aventures de Tétiki se déroulent donc dans trois romans : Les pilleurs de sarcophages (1984), Le Secret du papyrus (1998) et Disparition sur le Nil (2006). Ces livres sont parus avec beaucoup d’écart entre les uns et les autres. Pourquoi ?
En ce qui concerne les trois romans égyptiens, à des dates si éloignées, je n'ai pas de bonnes réponses. Quand Hachette a voulu lancer des romans historiques, on ne savait pas si les livres auraient une fin ou une suite. Aussi ai-je laissé ouverte la possibilité d'une suite, puis je me suis intéressée à la Grèce.
Quand j'ai voulu écrire Le Secret du papyrus, j'ai désiré, d'une part, compléter l'histoire de l'Egypte sous le Pharaon Ahmosis par sa conquête du Proche Orient. Et d'autre part, je tenais à parler de Babylone, dont la civilisation était tellement différente et prestigieuse. (les dieux, les pratiques, les coutumes).
Il me paraît nécessaire de montrer la variété des coutumes humaines, pour lutter contre l'opinion, partagée par beaucoup, que sa propre société est supérieure aux autres. En filigrane, court toujours dans mes livres, le désir de lutter contre l'intolérance.
Disparition sur le Nil, inspirée par la disparition de la Nubie sous le lac d'Assouan, et par la position de l'Egypte, qui, d'un pays envahi, est devenue un pays envahisseur, au Sud comme au Nord. L'or de la Nubie, ses animaux, ses châteaux m'ont fait rêver.


Dans L’Or blanc de Louis XIV et La Poudre d’amour de Louis XIV, les intrigues se déroulent sous le règne du Roi-Soleil mais plutôt à ses débuts. Alors que les romans historiques jeunesse sont nombreux à aborder le règne de Louis XIV, vous trouviez justement que trop peu s’intéressaient aux premières années du nouveau roi ?
Dans L’Or blanc de Louis XIV,et La Poudre d’amour de Louis XIV, je n'ai pas voulu identifier le roi à Versailles qui est déjà très connu. Je me suis intéressée au roi jeune, dans d'autres châteaux. J'ai aimé sa jeunesse entourée d'amis, infatigable dans le travail et les plaisirs, aux émois amoureux secrets et charmants à Fontainebleau, au cœur encore romantique.

Au château de Saint Germain en Laye le romantisme laisse place à la sensualité. A la guerre le roi n'a pas encore cadenassé son personnage, et laisse libre cours à l'exaltation de son courage, à l'ivresse des combats, à la camaraderie des nuits au clair de lune. Nous sommes loin encore des "petits levers", "grands levers", du roi Soleil, à Versailles.


La Poudre d’amour de Louis XIV est votre roman le plus récent paru en 2013. Ecrivez-vous actuellement un nouveau roman historique ? Si oui, pouvez-vous déjà nous en dire quelques mots ?
Hélas, je suis obligée d'abandonner mes héros du 17° siècle. Je n'ai plus assez de mémoire pour la documentation, ni assez de concentration pour mettre ensemble des aventures, des amours et des situations historiques.
Pour me consoler, j'ai écrit un petit conte sur un hippocampe qui a beaucoup de mémoire et que je viens d'envoyer à un éditeur. J'espère qu'il vous plaira aussi. Il s'appelle Zino et est amoureux d'Izza. Pour elle il doit se rendre sur la Terre, ce qui, pour un hippocampe, est une défi extraordinaire.


Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
A tous les lecteurs d' Histoire d'en Lire, je souhaite de profiter des années où ils ont encore le temps de lire et de rêver. Un livre vous en apprend plus sur vous mêmes et sur l'existence que beaucoup de textos et de photos. Il vous laisse la liberté d'imaginer des personnages, de traverser des paysages, de vibrer aux sentiments et aux choix que d'autres rencontrent dans leur vie, et que vous rencontrerez parfois. Réjouissez-vous de la poésie des mots. Pensez aussi à vous ennuyer de temps en temps. A ne pas vous laisser submerger par les informations de toutes sortes. Il est long et difficile de se connaître, disaient les philosophes grecs, et un temps libre, (vraiment libre) permet de s'interroger sur soi-même et ce que l'on attend de l'existence.

Je vous remercie beaucoup pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.

Odile Weulersse

Interview réalisée le 19 janvier 2014.