L'interview de CARMINATI Muriel

CARMINATI Muriel

Bonjour Muriel Carminati,
Vous êtes auteure de livres pour la jeunesse : albums, contes, poésies et bien sûr romans historiques. Avant cela, vous avez été enseignante de lettres. Comment est né ce désir de devenir écrivain ?

Disons plutôt ce désir d’écrire ! Devenir écrivain ne faisait pas partie de mes préoccupations.
Depuis mon plus jeune âge, je lisais beaucoup et il m’arrivait d’inventer des histoires que je racontais à mes frères : elles servaient de cadre à nos jeux et distractions du soir puisque c’était l’époque où la télévision était réservée aux adultes et où les enfants étaient envoyés au lit après le dîner.
En fait, je me souviens que tout est parti d’un modeste atelier d’écriture que j’avais mis en place dans un collège où j’effectuais un remplacement. J’avais pris l’habitude de proposer des activités entre 13 et 14 heures aux élèves demi-pensionnaires qui, comme moi, s’ennuyaient un peu avant la reprise des cours. Cette fois-là j’ai réuni quelques Sixième autour d’un projet d’histoire qui se déroulerait en Egypte ancienne. C’était une période historique qui était dans leur programme, période qui me passionnait moi-même depuis ma propre sixième. J’ai montré à ces enfants un petit flacon à parfum que d’autres enfants m’avaient offert à l’issue d’un précédent remplacement et qui rappelait les bijoux antiques… Nous avons passé plusieurs séances à bâtir le prologue de ce récit. Ils écrivaient, je proposais des corrections, ils reprenaient… et puis la fin du remplacement est arrivée et je suis partie. Deux ans plus tard, pendant un été, je suis retombée sur ce projet et les brouillons du prologue. J’ai brusquement décidé d’écrire cette histoire et tout est venu en une semaine. Quand je l’ai lue autour de moi, on m’a conseillé de l’adresser à des éditeurs. Ça a donné mon premier roman : Mémoire d’éléphant.

En tout cas, en lisant vos livres, on retrouve ce soin apporté à la qualité des phrases, à la richesse du vocabulaire employé. Est-ce qu’on peut dire qu’avoir enseigné les lettres aide d’autant plus à écrire ensuite ?
Je ne suis pas sûre que cela aide à écrire… Quand on fait des études de Lettres, on est confronté à des références écrasantes et il faut surmonter l’inhibition qu’elles provoquent pour oser prendre la plume !
Ceci dit, écrire, c’est aussi entrer en dialogue avec ceux qu’on a lus. Et quand on a pris l’habitude de fréquenter les livres pendant des années, il peut être tentant de s’introduire à son tour dans la danse non ?


L’histoire du bassin méditerranéen est très présente dans votre œuvre : la Grèce avec L’Espion de Bonaparte, Le Prince de Bactriane, Un Ange à Venise ; l’Italie et plus spécialement Venise avec Un Ange à Venise et la série Le Chat des Archives. Et pourtant, ce sont rarement les mêmes époques qui sont décrites. Ce sont vos voyages en Grèce et en Italie qui vous ont directement inspirée ? Quelle est l’époque que vous préférez de l’histoire grecque ?
Vaste question que celle de l’inspiration… Dans ma vie, j’ai commencé par voyager virtuellement grâce aux livres avant d’avoir la possibilité de me déplacer physiquement. Ces deux démarches ne sont pas incompatibles. Au contraire. Elles se nourrissent l’une l’autre. Chez moi, c’est en bougeant que la pensée se met en mouvement, il faut que j’aille voir ailleurs pour que l’imagination se réveille. J’ai un peu voyagé en Asie, et cela a déclenché l’envie d’écrire des textes courts et des poèmes. Quant à la Grèce que je rejoins chaque année en été depuis 20 ans, c’est un endroit fondamental pour moi, c’est un pays que j’aime et que je trouve très stimulant. Venise, oui, le mariage des arts et de la mer, c’est un autre lieu magnétique qui parle à l’être tout entier.
La période que je préfère dans l’histoire grecque, c’est la période hellénistique, celle qui suit, en gros, la mort d’Alexandre le Grand. Elle scelle la rencontre du monde hellénique avec l’Orient. J’en ai parlé dans Le Nombril du monde, où quatre jeunes issus de civilisations différentes finissent par se retrouver ensemble à Delphes, et dans Le Prince de Bactriane, qui raconte les aventures d’un jeune prince grec qui s’éprend des principes du bouddhisme.


Un Ange à Venise et L’Eléphant du Nil sont tout deux des ouvrages réécrits. Pourquoi avez-vous souhaité retouché ces textes ?
Tout d’abord, pour La Nourriture des anges (paru initialement en 94 et qui avait obtenu le Grand Prix du Ministère de la Jeunesse et des Sports en 93 sur manuscrit anonyme), j’ai uniquement changé le titre. C’est précisé, je crois. Lorsque la collection a connu une nouvelle maquette, on m’a demandé de réfléchir à un nouveau titre. Marketing oblige ! Les gens sont pressés, de nos jours, et il leur faut des informations immédiates. Un Ange à Venise est plus satisfaisant, de ce point de vue…
En ce qui concerne Mémoire d’éléphant qui est devenu L’Eléphant du Nil, il s’agit d’une réédition chez un nouvel éditeur et là, j’ai procédé à une relecture du texte écrit en 89, ôtant quelques phrases par ci, simplifiant quelques mots par là. Je ne me suis pas livrée à une véritable réécriture, il s’en faut ! C’est le premier texte que j’ai publié - il y a plus de 20 ans - mais je ne l’ai aucunement renié. Même si aujourd’hui je n’écrirais sans doute plus cette histoire de la même façon…


Certains ouvrages sont malheureusement épuisés : les deux tomes de La Mue américaine qui n’ont pas été réédités par Hachette jeunesse ; Le Prince de Bactriane car la maison d’édition Le Navire en pleine ville a fermé ses portes. Pensez-vous les proposer à d’autres éditeurs ou les publier vous-même en format numérique pour leur offrir une seconde vie ?
Si l’occasion se présentait, je les proposerais volontiers à d’autres éditeurs mais j’ai bien l’impression que la réédition n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Ne dit-on pas pourtant que c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe ? Je plaisante ! Entre nous, cette formule a pris un sacré coup de vieux à l’heure du fast food. Nous vivons dans un temps accéléré où la « nouveauté » seule a droit de cité. Espérons que l’édition ne va pas devenir complètement une production de type industriel avec la logique glaçante que celle-ci induit.
Le format numérique, on y vient. Mon roman L’Espion de Bonaparte est disponible uniquement dans cette version désormais. Pourquoi pas ? Si cela peut lui permettre d’exister. Même si le medium change le message… Pour ma part, je suis tellement habituée au livre dont je tourne les pages, coche des passages, hume l’odeur que la tablette tactile, j’en aurai sans doute un usage modéré…


D’un point de vue historique, vous avez donc déjà exploré bon nombre de périodes : l’antiquité grecque et égyptienne, la République de Venise, l’époque de Napoléon Bonaparte, la Seconde Guerre mondiale. Y a-t-il d’autres périodes ou événements historiques que vous souhaiteriez aborder dans des romans jeunesse ?
Le XXème siècle - et ses deux guerres mondiales - me paraît une période très décisive pour la compréhension de notre époque. Je l’avais abordée avec La Mue américaine en 95/96. Récemment j’ai écrit à quatre mains avec Patrick Spens un roman pour adultes sur les années 30 et 40 (La Traque, paru au Cherche Midi). Je vais sans doute y revenir en littérature jeunesse.

Votre actualité, c’est d’abord la parution du troisième tome du Le Chat des Archives en octobre 2012. Ecrivez-vous actuellement un autre roman historique ? Qu’en est-il également pour les autres ouvrages jeunesse ?
Le tome 3 du Le Chat des Archives va paraître en octobre. Il s’intitule Trafic d’art à Venise. Je prends beaucoup de plaisir à écrire cette série que j’ai proposée à Oskar/Oslo jeunesse. Je suis contente d’avoir donné vie à Borgatto, chat érudit qui sait sortir des archives quand la situation l’exige. Cette fois-ci, j’avais envie de promener le lecteur le long de la Brenta et ses merveilleuses villas. Et de parler des faussaires, thème qui reste d’actualité, n’est-ce pas ?
Par ailleurs, j’attends avec impatience la publication d’un recueil de poésie bilingue (français/anglais) sur le thème du potager. J’ai aussi de nouveaux textes pour album que je vais présenter à des éditeurs.


Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Si nous voulons rester des êtres libres, il faut continuer à tourner la page.
Longue et belle vie à votre site !


Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.


Interview réalisée le 29 août 2012.