L'interview de BATHELOT Lilian

BATHELOT Lilian

Bonjour Lilian Bathelot,
Bonjour Isabelle Durand

Nous allons ici aborder votre roman L'Étoile noire paru aux éditions Gulf Stream, dans la collection "Courants noirs". Pouvez-vous nous dire comment est née cette collaboration avec cet éditeur ?
J’ai rencontré Thierry Lefèvre (directeur de la collection Courants noirs) lors d’une invitation à Saint-Gervais-Sous-Meymont, dans le centre de la France.
Nous avions tous deux un roman sélectionné pour le prix des bibliothèques du parc du Livradois-Forez. Je ne sais plus trop comment, mais c’est de cette rencontre qu’est née l’idée de faire un livre pour Courants noirs...
Puisque j’ai écrit une demi-douzaine de romans jeunesse, un statisticien (vous savez, ces gens qui estiment qu’avec les pieds dans le four et la tête dans le frigidaire, on est globalement exposé à une température idéale) pourrait affirmer que 16,66 % des contrats de romans jeunesse sont signés à Saint-Gervais-Sous-Meymont...(rires)


Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients d’avoir publié votre roman dans cette collection ?
Le premier avantage a été de pouvoir bénéficier du regard de Thierry sur le texte, de son respect de l’esprit du roman et de la pertinence de ses propositions de retouches. Pour l’auteur, il est important qu’une confiance s’instaure à ce moment décisif du travail.
Ensuite, le travail avec Paola Grieco (directrice éditoriale), Myriam Hautot (attachée de presse) et Aurélien Police (illustration couverture) a été fructueux, avec à la clé de nombreuses critiques extrêmement positives dans la presse papier, audio-visuelle et Internet.
Et cette collection est bien identifiée, sa qualité reconnue...

Malheureusement pour L'Étoile noire, pour l’éditeur et pour moi-même, le travail du diffuseur, Volumen, n’a pas été à la hauteur sur ce titre. Alors que les échos de presse battaient leur plein, le livre est resté absent de beaucoup de librairies traditionnelles pendant plusieurs semaines. C’est rageant de recevoir des récriminations de lecteurs qui ne parviennent pas à se procurer un livre dans les librairies traditionnelles alors qu’au même moment il se place dans les « meilleures ventes Internet » sur le site de la FNAC.


L'Étoile noire est un roman qui a pour sujet la guerre d’Espagne et notamment la révolution de Barcelone à travers des lettres. Pourquoi avez-vous choisi d’aborder cet événement de l’histoire contemporaine ?
La révolution de Barcelone est un moment exceptionnel dans l’histoire. Un moment où un groupe humain de plusieurs millions de personnes a réussi à mettre ses rêves en pratique, à organiser la vie sociale de ces millions de personnes sans banques, sans argent, sans hiérarchie, sans propriété privée… Et cela dans un pays moderne, dans un esprit de fraternité et de libération de la femme. Et tout en faisant face aux exigences économiques et (in)humaines d’une guerre terriblement meurtrière.
Ces gens-là nous ont tout simplement démontré qu’un tel monde est possible. Contrairement à ces croyances infondées que la dictature du modèle libéral sur les esprits essaie nous faire prendre pour des vérités éternelles.
Oui, un monde basé sur la fraternité et non sur la rivalité est possible, sur des principes d’égalité plutôt que d’inégalité, sur le partage plutôt que la domination. Sur la liberté comme valeur suprême plutôt que sur la vénération de l’argent…
Et tout cela n’est pas triste ! C’est une véritable fête...
Même si les forces du fascisme, du stalinisme et du libéralisme réunies sont parvenues, cette fois, à mettre fin à la fête libertaire dans un véritable bain de sang...
Comment ne pas avoir envie de donner ces réalités en partage ?
Ces idées ont de beaux jours devant elles, elles sont pleines d’avenir...


L'Étoile noire est donc construit par des échanges de lettres entre les personnages principaux donne un récit très vivant. Le lecteur a complètement l’impression de vivre à l’époque décrite. S’agissant d’aborder l’Histoire pour un jeune public, cette forme romanesque s’est tout de suite imposée à vous ?
Pour L'Étoile noire cette forme épistolaire (ou presque) s’est invitée assez vite, et j’ai vite vu son intérêt. Il est possible ainsi de rentrer directement dans l’intimité, dans la vie, dans le cœur et dans l’esprit des personnages qui vivent l’Histoire au jour le jour. Cela donne en partage des réactions affectives brutes, une humanité dont on se rend compte qu’elle nous est familière. Nous avons la même en partage tout au fond de nous...
Cela dit, ce n’est évidemment pas la seule façon d’aborder l’Histoire.
Mais c’est un excellent moyen de l’aborder avec de la chair et des émotions de femmes et d’hommes, pas avec des grilles d’analyse, des théories, des idéologies et des chiffres.
Privilégier l’humain face aux visions économistes et politiciennes, c’est évidemment à contre courant des valeurs de notre monde.
Mais là encore c’est une attitude d’avenir...


D'après Thierry Lefèvre, vous allez publier prochainement un nouveau roman dans la collection "Courants noirs". Il aborderait la guerre d'Algérie. Pouvez-vous nous en parler un peu plus ?
Oui. Le roman s’appelle Kabylie twist et il paraît en février 2012.
L’intrigue se déroule effectivement pendant la guerre d’Algérie. Voici en avant première un copié-collé d’une partie de l’argument de ce roman :

1960-62 – En France, les souffrances de la seconde guerre mondiale ont été balayées par l’optimisme que souffle le nouvel essor économique. Le cœur battant des « trente glorieuses » porte toute la nation... Le plein emploi, l’apparition des loisirs et des technologies modernes. Les Français découvrent les joies de l’automobile, du transistor, du réfrigérateur. Leurs maisons se modernisent et « l’ascenseur social » fonctionne à plein régime.
Le twist enflamme une jeunesse enivrée des images de la « nouvelle vague », d’une liberté nouvelle fraîchement acquise, d’un rêve américain où fureur de vivre se prononce « À bout de souffle », où des idoles naissent chaque semaines et traversent les ondes comme des météores, pilotant des décapotables, les pieds nus et cheveux au vent.
Saint-Tropez, la place des Lices, Françoise Sagan, Jean-Paul Belmondo, Les Chaussettes noires, Dick Rivers, les juke-boxes, les flippers, les scooters Lambretta, les blousons noirs, les petites robes en vichy, les bas nylons et les vernis à ongle, les quarante-cinq tours et les scopitones, forment un kaléidoscope où l’insouciance se dispute à la révolte contre la morale des vieilles barbes.
Pourtant, dans cette ambiance de fête exubérante, des dizaines de milliers de jeunes français vont être appelés pour le service militaire et être envoyés en Algérie où les « évènements » prennent une tournure de plus en plus sanglante.

L’enquête de l’inspecteur Lopez constitue l’ossature de l’intrigue mais l’histoire se construit en suivant les trajectoires des personnages principaux. Ce sont leurs yeux, leurs émotions, leurs vécus qui donnent son épaisseur à l’intrigue, qui lui confèrent sa réalité aussi. Si on y trouve tous les ingrédients qu’évoque nécessairement la guerre d’Algérie, les escarmouches, les attentats, les massacres, le terrorisme, la sale guerre et la torture,l’essentiel des atmosphères qui servent de décor à ce Kabylie twist dépeint la vie des gens ordinaires pendant les « évènements ». Les télescopages entre la légèreté et l’insouciance de l’époque des « yéyés », de la nouvelle vague, du twist et la dureté d’une guerre qui déclina de manière particulièrement imaginative toutes les nuances des drames humains, des horreurs, des trahisons, des déchirements intimes et de la barbarie.

Au départ, j’avais une certaine appréhension en me lançant dans l’écriture de ce roman. Il y a eu des romans exceptionnels sur cette époque, notamment ceux de Francis Zamponi.
Aussi j’ai choisi un angle très différent et passablement décalé, ce qui donne une couleur particulière et qui m’a envoyé, je crois, sur des territoires relativement vierges, concernant cette époque...


Avez-vous déjà prévu d’écrire encore d’autres ouvrages pour la collection « Courants noirs » ? Si oui, pouvez-vous déjà nous dire quels contextes historiques pensez-vous évoquer ?
J’ai d’autres projets, oui, et j’en ai déjà parlé avec Thierry. Mais c’est encore vague...
Un projet possible sur « la conquête de l’ouest » qui n’oublierait pas cette conquête-là ne s’est pas faite contre une nature hostile, mais contre des civilisations admirables qui ont été victime de génocides dans le but de voler leurs terres... Contre des femmes et des hommes dont la philosophie a tant de choses à nous enseigner, aujourd’hui particulièrement. La pertinence de la philosophie de certaines nations indiennes aurait sans doute confondu Spinoza s’il avait pu les connaître, et elle aurait pu pousser un Hegel au suicide...
Un autre projet sur l’époque préhistorique, sans que j’aie encore su trancher entre les mérites du début du Chalcolithique languedocien (introduction du travail du cuivre dans cette région, l’époque d’Otzi), ou la charnière aurignacienne en Périgord, quand Neandertal a laissé quelques-uns de ses gènes en héritage à Sapiens dans des ébats d’une intensité qu’on aimerait savoir imaginer. Car imaginer comment s’est opérée la transition Neandertal / Sapiens est une aventure qui emballe l’esprit, tout comme imaginer le quotidien et l’extraordinaire des hommes et des femmes qui ont vécu à cette époque... sur laquelle nous avons des idées reçues effrayantes d’ignorance !


Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Vive le livre ! Vive la vie ! Vive le cœur ! Vive la révolte contre la bêtise !

Je vous remercie pour vos réponses.
Isabelle.

Merci de votre intérêt pour mon travail, et à bientôt.