
Bonjour Sophie,
Vous êtes l'éditrice de la maison Les Petites moustaches qui fêtent, en cette année 2025, leurs dix ans ! Et il me semble que la collection Les petites histoires de la mode a été créée la même année.
Comment est née l'idée de cette collection ?
En fait, la maison d'édition a été créée en 2013, nous nous approchons donc de l'anniversaire des douze ans, en juin prochain. Quant à la collection Les petites histoires de la mode, elle a été initiée en 2015 avec Jeanne Lanvin et fêtera donc cette année ses 10 ans, en décembre.
Cette collection est née de mon envie de parler de mode aux jeunes lecteurs, à partir de 10/11 ans, en passant par le roman. Leur raconter l'enfance de créateurs de mode dont on entend souvent parler sans savoir qui ils étaient vraiment et ainsi mettre en lumière des parcours de vie, à des époques différentes.
Jeanne Lanvin est le premier titre de la collection et le roman adopte le point de vue de Marguerite, la fille de la créatrice. Parfois, on découvre l'enfance ou l'adolescence d'un personnage (Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel) ou la créatrice au sommet de son art (Rose Bertin). Comment s'opèrent ces choix narratifs ?
Nos autrices mènent de nombreuses recherches avant de me proposer un synopsis pour le roman par lequel s'ouvre chaque ouvrage, et c'est à partir des faits qu'elles vont découvrir que le choix narratif va être opéré.
Pour Jeanne Lanvin, la relation particulière qu'elle entretenait avec sa fille s'est imposée comme une évidence pour raconter sa propre enfance. Dans Sonia Rykiel, une correspondance retrouvée entre un de ses cousins et elle, dans laquelle elle se remémorait la période de la Seconde Guerre mondiale où, avec sa famille, ils ont dû quitter Paris alors qu'elle a douze ans.
Pour Rose Bertin, c'était plus compliqué parce que nous n'avions rien sur son enfance. Sophie Guillou a donc choisi de raconter, par l'entremise d'une jeune apprentie, sa vie dans sa boutique à Paris et sa relation avec Marie-Antoinette.
Ou encore l'adolescence d'un Alexander McQueen à Londres à la fin des années 1980, qui permet de comprendre à la fois le designer rebelle qu'il a été, et aussi d'où vient sa sensibilité souvent à fleur de peau.
La construction de ces livres est originale : la première partie est le roman proprement dit. On découvre le couturier ou la couturière, sur un temps très court et à un moment précis. La seconde partie est une biographie détaillée amenée sous forme de questions-réponses. Et la troisième partie est un abécédaire illustré pour retracer les grandes créations du personnage. Pourquoi ce choix ?
L'idée de la collection, outre le fait d'amener le lecteur à rencontrer des grands couturiers par le biais de leur enfance, était également d'illustrer ces récits pour nous faire rêver.
Lors de l'écriture du premier titre de la collection, Jeanne Lanvin, nous nous sommes rendu compte que narrer l'enfance de cette couturière ne serait pas suffisant et pourrait même être frustrant si on n'allait pas plus loin.
La partie biographie s'est imposée pour compléter tout ce qui était dit dans le roman. Il s'agissait d'imaginer, ce qu'a parfaitement réussi Sophie Guillou en choisissant cette formule de questions-réponses, une façon directe et rythmée de balayer les grands événements de la vie personnelle et de la vie professionnelle du créateur, sans ennuyer le lecteur.
Pour illustrer l'ouvrage, il n'était pas question de faire une partie documentaire photos, je souhaitais revenir au dessin de mode, à l'origine de la création des modèles, et l'abécédaire nous permettait de choisir vingt-six modèles ou thèmes, ce qui enrichissait l'ouvrage et lui permettait de s'ouvrir à un lectorat plus large (et plus âgé) que celui que nous visions au départ.
Sur les huit titres actuellement parus, on découvre bien sûr des créateurs et créatrices de mode français.e.s (Rose Bertin, Sonia Rykiel, Jeanne Lanvin, Christian Dior), mais d'autres originaires d'Allemagne (Karl Lagerfeld), d'Espagne (Cristobal Balenciaga), d'Italie (Elsa Schiaparelli) et d'Angleterre (Alexander McQueen).
Il y a eu tout de suite l'envie d'explorer la mode au-delà de nos frontières françaises ?
Nous avons en effet commencé la collection avec des figures françaises du milieu de la mode, mais je crois que ni moi ni les autrices n'avons jamais pensé en termes de pays d'origine des créateurs. La mode est un média international, ce sont les créations qui font la renommée d'un couturier. Lorsque l'on choisit de faire entrer un créateur dans la collection, c'est parce qu'on est séduites par sa créativité, ses modèles, son style, quelle que soit son époque et quel que soit le pays dans lequel il est né.
Ces livres mettent en avant de grands créateurs et grandes créatrices de haute couture. Un milieu très particulier qui est plutôt réservé à une population fortunée. Pourtant, on se rend compte qu'ils ou elles sont parfois issu.e.s de milieu modeste et ont su se faire une place dans ce milieu très fermé.
Par le format adopté, y a-t-il eu justement cette envie de montrer aux jeunes lecteurs et lectrices que tous et toutes pouvaient réaliser leurs rêves, quel que soit le milieu d'où l'on vient ?
Oui, bien sûr, dès le départ, cela a été une volonté de ma part. Mais j'ai envie d'ajouter que tout notre catalogue est construit sur ce postulat, donner à voir aux jeunes lecteurs des parcours de vie atypiques, leur faire comprendre que l'important n'est pas tant la réussite que d'aller au bout de ses envies, que l'on vienne d'un milieu privilégié ou non.
Jeanne Lanvin a construit un véritable empire en ayant pour seuls privilèges son talent et sa volonté, de même que Rose Bertin au siècle précédent. Alexander McQueen est issu d'un milieu ouvrier qui ne le prédestinait pas du tout à devenir l'artiste qu'il a été. Elsa Schiaparelli, bien que bien née, est venue à la mode alors qu'elle vivotait à Paris avec sa fille et n'avait pas un sou.
Je crois que toutes ces personnes dont nous racontons l'histoire dans la collection sont de véritables personnages de roman, chacun à sa manière, grâce au chemin emprunté, et c'est ce qui fait la force de ces récits.
Pour l'instant, trois autrices se partagent les huit titres de cette collection : Sophie Guillou, Anne Loyer et Ève-Marie Lobriaut. Et deux illustratrices : Alice Dufay et Madame dessine. Est-ce vous qui les avez démarchées ? Comment se sont construites ces collaborations ?
La collection a été créée avec Sophie Guillou. Nous travaillions déjà ensemble sur des romans (Lucy dans tous ses états, Lucy fait sa crise), destinés à des adolescents et c'est donc assez naturellement que je lui ai proposé un livre sur la mode. Ancienne journaliste, Sophie Guillou avait un profil idéal pour cette collection. Ce qui est le cas également d'Anne Loyer à qui j'ai commandé les textes pour l'ouvrage sur Karl Lagerfeld.
Quant à Ève-Marie Lobriaut, ancienne journaliste également, qui a écrit les trois derniers titres à ce jour de la collection, c'est elle qui m'a sollicitée. Ne connaissant pas son travail, je lui ai proposé d'écrire un roman ado pour notre collection Héroïnes, car je voulais être sûre que sa plume correspondrait à ce que nous faisons. Elle m'a proposé un très beau roman, Anna en terra incognita. La suite, c'est le pétillant Elsa Schiaparelli.
Avez-vous déjà prévu d'autres titres dans la collection ? Si oui, peut-on déjà savoir quel.le.s grand.e.s couturiers ou couturières seront à l'honneur ?
Nous avons une liste assez longue de couturiers auxquels je voudrais que nous nous attaquions, comme vous pouvez l'imaginer. Il y en a un en particulier qui se profile doucement, mais je préfère garder la surprise. L'autrice sera une nouvelle venue aux Petites moustaches, nous allons donc prendre notre temps, et vous tiendrons informés.
Je vous remercie pour vos réponses et souhaite une bonne continuation à la collection Les petites histoires de la mode, et un joyeux 10e anniversaire aux éditions Les petites moustaches !
Isabelle.
Interview réalisée le 11 mars 2025.