Bonjour Carole Trébor,
Historienne de formation, vous avez essentiellement écrit des documentaires historiques et surtout réalisé des films sur des sujets d’Histoire. Nina Volkovitch est donc votre première œuvre de fiction historique jeunesse. Qu’est-ce qui vous a donné envie de tenter cette nouvelle expérience ?
Ma première expérience d’écriture pour les ados, c’est à Paola Grieco que je la dois : elle m’a confié la rédaction d’un documentaire sur la télévision (Derrière le petit écran, collection EtToc) : expliquer à des ados le fonctionnement et l’histoire de la télévision m’a beaucoup intéressée dès le départ ! Par ailleurs, mon fils étant un grand lecteur de romans jeunesse, j’ai commencé à lire ses livres dont un certain nombre m’ont passionnée. J’ai dévoré ces histoires d’aventures, d’amour, d’amitié, qu’elles soient historiques, fantastiques, contemporaines. J’ai souvent trouvé ces œuvres bien écrites, avec une vraie finesse psychologique, un vrai regard. C’est fort ce que les ados partagent et apprennent à travers de telles lectures. Et moi-même ado, j’étais une dévoreuse de romans : j’en ai passé des nuits à lire dans le noir avec une lampe de poche allumée sous ma couette !… Tout ça mélangé a déclenché une énorme envie d’écrire de la fiction pour les jeunes. Je pense d’ailleurs que ces livres sont assez fédérateurs et peuvent être lus par bien des générations.
La série Nina Volkovitch aborde donc l’après Seconde Guerre mondiale en URSS et met en avant le Parti soviétique et les dernières années au pouvoir de Staline. Pourquoi avez-vous choisi précisément cette période ?
C’est une période que je connais bien. Mon doctorat portait sur les relations artistiques entre la France et l’URSS de 1945 à 1985, et j’ai travaillé dans les archives à Moscou pendant six mois. Je me suis beaucoup penchée sur le destin du musée d’art moderne occidental de Moscou, liquidé par Staline en 1948. L’idée d’écrire un roman qui explorerait les répercussions du régime stalinien sur le monde de l’art m’a effleuré l’esprit pendant ma thèse. Mais je suis partie vers d’autres aventures de réalisation – dont un documentaire sur les artistes russes en exil (autre chapitre de ma thèse) ! L’envie de fiction est revenue suite à l’écriture de pièces de théâtre. J’ai trouvé le point de départ du roman : mon héroïne serait la fille d’une des responsables du musée d’art moderne, envoyée au Goulag car elle refuse de baisser les bras. Et voilà, c’était parti !
C’est fondamental de connaître cette période tragique de l’Histoire, de comprendre les aberrations où mènent un régime fondé sur la peur, les dénonciations et le non-droit. C’est aussi important de prendre conscience – notamment à travers l’histoire de Nina - de la force de la création artistique. Car si l’art - et à travers lui j’englobe les artistes, les spécialistes, les historiens et tous les passionnés - a été persécuté, censuré, contrôlé et encadré, n’est-ce pas parce qu’il porte en lui le mystère, la force et la liberté de l’humanité ? Vous êtes d’accord ?
Nina Volkovitch est avant tout une série de romans historiques mais le côté fantastique y occupe aussi une place importante dès la seconde moitié du premier tome. Le résultat est des plus réussis. Pourquoi avez-vous voulu intégrer cet aspect-là ?
Je ne peux pas tout expliquer, mais je crois que le fantastique m’a donné une grande liberté d’écriture. Peut-être est-ce ma façon aussi de rester optimiste dans un monde assez noir où il était si difficile de s’en sortir. J’ai trouvé mon équilibre en respectant une grande rigueur historique tout en me laissant porter par mon imaginaire qui m’a menée vers les pouvoirs de Nina, le Souffle des Volkovitch et les trois anges. Je tenais aussi à rester proche de la culture russe ancestrale : donc j’ai inventé les trois icônes magiques que vous découvrirez au 2ème tome !
Vos romans sont publiés chez Gulf Stream Editeur. Paola Grieco, directrice d’édition, a été aussitôt séduite par votre texte ? C’est un sacré défi de publier une trilogie sur un sujet comme celui-là, pourtant peu commun.
C’est Paola qui a relevé le défi et a décidé de faire confiance au manuscrit Nina Volkovitch. L’auteur, lui, y croit un minimum sinon il n’enverrait pas ses textes.
En fait, c’est allé très vite : j’ai écrit le premier tome, l’ai envoyé à Paola Grieco, que je connaissais grâce au documentaire sur la télévision et à ma série d’albums jeunesse (Au cirque Fanfaron) et à ma grande surprise, j’ai reçu un texto quelques jours plus tard : Paola était enthousiasmée, et réclamait la suite ! Alors je me suis lancée dans le tome 2 !
Il y a très peu de romans pour la jeunesse qui se passent en Russie ou en URSS, c’est bien que Nina Volkovitch emmène des lecteurs à Moscou, en Sibérie, dans des monastères aux clochers d’or et dans des forêts de bouleaux enneigées !
Comment s’est passé le travail avec l’illustrateur Cali Rezo ? On sait que Gulf Stream travaille toujours énormément les couvertures des livres. Le résultat est toujours magnifique comme c’est encore le cas avec Nina Volkovitch. Avez-vous pu apporter quelques idées ou est-ce plutôt carte blanche ?
C’est surtout Marie Rébulard, la directrice artistique, qui a travaillé avec l’illustratrice. Marie voulait une couverture à la fois historique (reflétant l’URSS stalinienne), russe traditionnelle et fantastique. Elle a créé la structure triangulaire des trois tomes (associée d’ailleurs vous le verrez à l’histoire), a opéré les choix de graphisme, décidé des tonalités de couleurs et de compositions. Elle a eu la gentillesse de me montrer quelques étapes de travail, et j’ai juste insisté sur l’importance pour moi de la crédibilité historique à travers le réalisme des costumes, des coupes de cheveux et des accessoires, points sur lesquelles on était totalement en accord. Cali Rezo a aussi un immense talent car le personnage de Nina a ce côté mystérieux, indomptable, inquiétant ; et son style (peinture numérique) est totalement adapté à la trilogie. J’étais très heureuse du résultat. Et quand vous verrez les trois tomes côte à côte, c’est magique !
Même s’il est encore bien sûr trop tôt pour connaître l’écho de vos romans auprès du public, cette nouvelle expérience vous donne-t-elle déjà envie d’écrire un nouveau roman historique jeunesse ? Et si oui, sur quelle période de l’Histoire ?
Ah oui ! L’envie d’écrire est là ! Je crois que je vais me plonger dans l’histoire de la Communauté des Volkovitch : il y a des choses à creuser du côté de Dimitri Volkovitch, l’ancêtre de Nina qui a été pourchassé par Ivan le Terrible ! Je vais faire un tour dans la Russie du 16ème siècle… Ensuite, peut-être une suite aux aventures de Nina en 1950…
Et j’ai écrit un roman policier L’Affaire Louvkine, qui se passe dans le milieu des artistes russes en exil à Paris où un trafic d’icônes bouleverse le destin de deux jeunes gens. Et, ceci restant une information confidentielle pour les lecteurs d’Histoire d’en lire, c’est une enquête historique dans les archives à Moscou qui permettra aux héros de s’en sortir : car la solution de l’énigme est dans le passé ! Ce roman devrait sortir en 2014 – toujours aux éditions Gulfstream.
Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Quand j’ai écrit La Lignée, je ne savais pas toujours où Nina m’entraînerait. J’étais dans une impatience de connaître la suite de mon histoire, de trouver des solutions, de lever les secrets. Alors ce que je souhaite, c’est que les lecteurs d’Histoire d’en lire aient eux aussi besoin de tourner chacune des pages pour connaître la suite des aventures de Nina. Comme je l’ai vécu en écrivant !
Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.
Interview réalisée le 20 août 2012.