L'interview de MARCK Bernard

MARCK Bernard

Bonjour Bernard Marck,
Vous êtes un passionné d’aviation et avez justement écrit déjà plusieurs ouvrages sur ce thème. Et pourtant, vous signez dernièrement un roman sur le naufrage du Titanic : Titanic, l’instinct de vie. Pourquoi vous êtes-vous tourné cette fois-ci vers les navires et en particulier celui-ci ?


Bonjour, Madame,
Mes recherches sur les aviateurs, notamment sur les débuts de l’aviation, me conduisent toujours à m’immerger vraiment dans l’époque concernée, à en « visiter » les villes, à en étudier les mœurs, les habitudes, les attentes, les espoirs, la vision de l’avenir… Je me sens, chaque fois davantage, comme un voyageur temporel qui retrouve des marques familières. L’année 1912 apparaît très significative dans l’histoire générale de l’aviation, ne serait-ce que par l’adoption définitive du mot « avion » créé en 1890 par Clément Ader, premier aviateur à avoir fait décoller un plus lourd que l’air. Bien sûr, quand je pousse la porte de cette année-là, la présence du Titanic y est quasiment obsédante. Comme j’appartiens au genre curieux, j’ai souhaité en savoir plus. Ce que j’ai découvert m’a souvent surpris et plus souvent encore ému. C’est cette émotion que j’ai eu envie de partager avec le lecteur.


Pour en revenir à votre passion de l’aviation, on note bien les petites références présentes à plusieurs reprises dans le récit ...
Evidemment, si vous chassez le naturel... L’aviation occupe ma vie depuis bientôt quarante ans. En fait, je dois préciser que je m’intéresse plus à la dimension humaine de cette extraordinaire aventure qu’aux seuls aspects techniques. Ceci a d’ailleurs facilité mon « passage » sur le Titanic. Il faut également savoir que le naufrage a eu un impact sur le monde de l’aviation, en cela qu’il a occulté notamment un exploit qui eut lieu le lendemain de cette tragédie. En effet, l’aviatrice américaine Harriet Quimby réussit la traversée de la Manche, à bord d’un monoplan Blériot, dans le sens Angleterre-France. Il s’agit d’une prouesse dont je vous certifie qu’elle est extraordinaire, surtout en une période où les aviatrices se heurtent à un machisme insupportable. La presse ne parle pas ou peu de cette première, réservant sa première page au Titanic !
Quand j’évoque Louis Blériot, sa traversée historique de juillet 1909 est encore très présente dans les esprits de 1912, et des visionnaires imaginent déjà des « paquebots » volants avec plusieurs centaines de passagers pour assurer la ligne sur l’Atlantique. La presse aéronautique de ces années enthousiastes ne manque pas de rapporter ces commentaires fous-fous-fous comme l’ont été les premiers faucheurs de marguerites… Je me suis donc offert le petit plaisir d’y faire référence dans cette histoire de la mer...


Ce roman Titanic, l’instinct de vie paraît donc un mois avant le centenaire du naufrage. Comment est né ce texte ? Est-ce qu’il s’agissait d’un projet personnel ou d’une demande particulière de l’éditeur ? Ou bien un peu des deux ?
Il n’y a pas eu, ici, de génération spontanée ou d’un souci de bénéficier du premier centenaire pour raviver des émotions qui, je peux vous l’affirmer, demeurent entières au sein des familles concernées. Ce projet est né d’une conversation avec mon éditrice. Elle sait mon goût pour cette fameuse dimension humaine. Elle n’ignore pas non plus que je déteste dramatiser un événement déjà suffisamment tragique. Ainsi je n’ai jamais écrit sur des catastrophes aériennes, par respect autant pour les équipages que pour les passagers et leurs familles. Il m’est arrivé, certes, de rédiger des articles sur des accidents aériens mais sans insister sur les détails scabreux du genre poupée à moitié calcinée à côté des débris fumants… Mon travail, comme celui de mes confrères journalistes aéronautiques consistait à comprendre, avec les experts, ce qui s’était passé, à en déterminer la cause, pour éviter sa réédition. Voilà tout ! Je dois avouer que des questions me tracassaient à propos du Titanic, en particulier cet acharnement de journalistes ou d’auteurs à accabler les soi-disant lâches. Les journaux de Hearst se sont ainsi acharnés à tort sur Bruce Ismay, le patron de la White Star Line, qui a été littéralement conspué par la foule à sa descente du Carpathia, le 18 avril 1912. J’ai découvert que cet homme n’était en rien coupable de ce dont on l’accusait – d’avoir ordonné au commandant Smith d’accélérer la vitesse, malgré la présence d’icebergs, puis d’avoir sauté dans le premier canot pour fuir. En réalité, il fit preuve d’un grand courage, aida à l’embarquement des femmes et des enfants de son secteur, avant d’être vivement invité à sauter à bord du canot par l’officier responsable de l’embarcation. Ismay n’a pas voulu répondre aux rumeurs, à juste titre. Ismay est un exemple important, mais il y en eut d’autres. Quant aux journaux de Hearst, pour en mesurer la qualité proche du caniveau, il faut savoir que les reporters décrivaient souvent un événement sans procéder à la moindre vérification, animés qu’ils étaient par le seul souci du « scoop » à tout prix, quitte à y écorcher la vérité. N’a-t-il pas été écrit que le Titanic n’avait pas coulé, qu’il avait été pris en remorque, que tout le monde à bord était sauf ? Imaginez la douleur des familles confrontées ensuite à la réalité !
Le Titanic m’intéressait aussi à titre de symbole, pour plusieurs raisons. Il rassemblait d’abord tout ce qui se faisait alors de mieux en matière de progrès technologique et de confort. Ensuite, se retrouvait à bord la représentation parfaite de la société de 1912. On a insisté sur le côté glamour des milliardaires de la première classe, mais il convient de souligner que le gros paquebot emportait, dans sa troisième classe, des centaines de candidats à une vie meilleure. À ce titre, il a été le navire de l’espoir, comme le Carpathia a été celui des veuves.


Pour ce roman, vous avez consulté beaucoup d’ouvrages sur le naufrage, la bibliographie est présente en fin de livre. Combien de temps vous a-t-il fallu pour cet ouvrage, des recherches jusqu’à la fin de l’écriture ?
Il m’est difficile de vous répondre avec précision. De puis toujours, je collecte des documents sur l’histoire, pas seulement sur l’histoire de l’aviation. Je possédais un dossier sur le Titanic. Voici un vingtaine d’années, Flammarion avait envisagé le lancement d’une collection intitulée : « Une journée de… » J’avais proposé « Une journée de Jean Mermoz » et une « Journée sur le Titanic ». Ceci m’a conduit à mener à consulter des marins pour me familiariser quelque peu avec leur langage, leur vie et la mer, avant de rencontrer d’ultimes survivants de la tragédie. J’ai également eu la chance de bénéficier du savoir d’un beau-frère officier de marine, Marc Chomet, qui a servi en particulier sur les fameuses Abeilles. Bien sûr, j’ai dévoré les excellents ouvrages de Philippe Masson et de Walter Lord, les articles d’époque ou de la presse historique, etc. Il se trouve que Flammarion a dû renoncer à cette collection, mais j’ai néanmoins conservé cette base pour mon livre actuel. D’autres sources m’ont été précieuses : les rapports officiels des deux commissions d’enquête, américaine et britannique, qui fourmillent de détails, de même que l’ouvrage « Olympic & Titanic », édité en 1988 chez Patrick Stephen Limited, où l’on apprend tout sur le navire et son « sister-ship » grâce à des documents d’époque reproduits fidèlement. Je ne vous cacherai pas que j’ai dû lire beaucoup pour combler de nombreuses lacunes personnelles dans le domaine maritime, et je suis reconnaissant, à ce titre, aux spécialistes du secteur pour m’avoir éclairé et même fait mon apprentissage. Alors, le temps consacré au livre ? Disons que la dernière ligne droite m’a demandé une bonne année. La plupart du temps, grâce aux plans et aux descriptions, ainsi qu’aux témoignages, je me suis employé à circuler par la pensée à travers le navire, à en écouter les bruits, à en humer les odeurs. Vous n’imaginez pas le nombre de fois où, assis sur ma chaise, les yeux fermés, j’arpentais les coursives, le grand salon, la passerelle, le quartier des officiers, les cabines de luxe ou non plus rudimentaires, les soutes… J’ai vécu de la sorte les phases du naufrage et, ne riez surtout pas, j’ai éprouvé de la peur, de la terreur même, au point de me trouver en empathie avec ces pauvres gens. Il y aurait eu mille choses à écrire, à décrire, mais mon éditrice aurait froncé le sourcil. De toute façon, l’essentiel est là.

Titanic, l’instinct de vie est publié chez Flammarion Jeunesse dans la collection Grands Formats. Les personnages principaux sont de jeunes gens : Jack, Ruth et le petit Douglas. C’est toujours indispensable d’avoir des personnages aux âges proches de ceux des lecteurs, mais par son niveau de lecture, ce livre peut tout autant plaire aux adultes. En l’écrivant, aviez-vous déjà un peu ciblé le public à qui il se destinait ?
Absolument pas ! J’ai souhaité écrire pour tous. L’histoire n’est que très légèrement romancée. Toutes les circonstances sont vraies, les personnages également. En revanche, je me suis autorisé la liberté de les laisser visiter le navire, donc de passer d’une classe à l’autre, ce qui était alors formellement interdit. Vous remarquerez qu’ils découvrent l’énorme paquebot, de la soute à la passerelle, sous certaines conditions très strictes et accompagnés par un guide (Andrew Latimer) qui a lui aussi existé. L’éditrice, Céline Vial, m’a laissé rédiger ce récit à ma guise, m’apportant de temps à autre des conseils utiles, justement par rapport aux enfants, surtout quand j’avais tendance à détailler certaines descriptions comme dans un livre-document. Elle avait raison car le livre s’en est trouvé allégé, sans perdre son caractère parfois documentaire, instructif et, je l’espère, passionnant. On vit littéralement sur le Titanic où l’on partage l’émerveillement des trois jeunes héros. Je suis certain que des adultes auraient poussé des exclamations admiratives s’ils avaient pu bénéficier du rare privilège de parcourir ce navire. Certes, on ne retient que la phase terrible de l’engloutissement, mais le Titanic n’en fut pas moins un chef d’œuvre et, disons-le au passage, Thomas Andrews, son architecte principal, qui a péri dans la catastrophe, n’a pas démérité.

Elisabeth Navratil, la fille de Michel Navratil (Lolo, rescapé du naufrage) a réécrit son roman Les Enfants du Titanic et y a apporté beaucoup plus de détails que dans sa précédente version. L’avez-vous lu et si oui, qu’en avez-vous pensé ?
Je n’ai pas lu la version écrite par Elizabeth Navratil, mais je souhaite que cette famille, sortie d’une tourmente intime doublée d’une tragédie maritime, est enfin apaisée. Ce qui a pu se passer avant l’embarquement du père et de ses deux fils, sous un nom d’emprunt, relève du domaine de la vie privée et l’on ne saurait donc juger. Il apparaît nettement, en revanche, que le père a eu un comportement aussi digne qu’exemplaire, en plaçant ses enfants sur un canot, en les sauvant, se sacrifiant par la même occasion. Quant à sa femme, elle a eu, me semble-t-il, la réaction viscérale de toute mère en pareilles circonstances : identifiant ses enfants sur la photo du Figaro, elle s’est précipitée à New York pour les serrer sur son cœur et les ramener en France. Je ne connais pas bien la suite de l’histoire. Je sais que Michel Navratil, devenu professeur de philosophie et doyen des survivants masculins du Titanic, alla très tard s’incliner sur la tombe de son père, au cimetière Baron de Hirsch, à Halifax. Quant à son frère Edmond, dit Momon, il mourut prématurément à l’âge de quarante-trois ans. La famille Navratil, comme tous ceux dont le sort fut lié à celui du Titanic, a été marquée à jamais par cette nuit du 14 au 15 avril 1912. Le récit de Michel et, sans doute, le roman de sa fille Elizabeth peuvent très bien passer aussi pour un exercice d’exorcisme salutaire de cette hantise familiale.

Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Jamais une recherche ne m’a autant impressionné, au point que je reste aujourd’hui imprégné des émotions diverses qu’elle m’a procurées. J’espère n’avoir trahi personne ou déformé les événements. Toutefois, j’ai appris à redéfinir des mots comme « courage » et à me méfier de termes qui, à l’image de « lâcheté », ne signifient rien hors d’un contexte précis. Des femmes ont refusé de se séparer de leurs maris. Des hommes ont choisi de mourir avec panache. Des marins anonymes, des soutiers, des stewards dont l’histoire n’a pas toujours retenu le nom, ont sacrifié leur vie pour offrir parfois quelques minutes d’espoir supplémentaires aux passagers : ils ont fait leur devoir, m’a soufflé un vieux marin, le regard tout de même embué de larmes. Le comportement courageux des musiciens de Wallace Hartley a été célébré universellement. Rien n’a été inventé : les huit hommes, tous volontaires, ont joué jusqu’à quelques minutes de l’engloutissement final. Il existe au moins une preuve de l’amour qu’ils vouaient à leur art et qui les a certainement aidé à surmonter leur frayeur : lorsque le corps du chef d’orchestre fut repêché, il serrait contre lui l’étui dans lequel il avait pris soin de ranger son violon ! Bien sûr, des hommes désespérés ont tenté de sauver leur peau, mais pratiquement à la fin de l’évacuation, en sautant à bord des canots, en dépit des menaces des officiers d’utiliser leur arme. Comment les critiquer ? Courageux, stoïques ou lâches, ces hommes nous ressemblent. Qu’aurait-on fait à leur place ? Je me suis posé la question, et la réponse ne faisait pas de moi un héros. Au fond, c’est l’épreuve qui nous révèle à notre véritable dimension. A ce propos, j’invite les lecteurs d’Histoire d’en Lire de se pencher sur le cas du grand héros de cette tragédie, en l’occurrence Arthur Rostron, le capitaine du Carpathia. Son attitude, son sang froid, son esprit de décision ont sauvé plusieurs centaines de personnes d’une mort glacée.

Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
C’est à moi de vous remercier, avec l’espoir que mes réponses vous satisferont ainsi que vos lecteurs. J’en profite pour signaler qu’une médaille commémorative du centenaire Titanic sortira début avril, émise par un correspondant de la Monnaie de Paris en association avec Flammarion.

Isabelle
Bernard MARCK.

Interview réalisée le 21 mars 2012.