Bonjour Anne Loyer,
Albums, romans jeunesse, romans ados, premières lectures, vous êtes une touche-à-tout. Et ce, quelque soit le sujet, qu'il soit sérieux ou léger. Vous avez ce besoin de passer et d'alterner des projets différents ? Est-ce que cette diversité d'écriture vous vient de votre précédent métier de journaliste ?
Il est vrai que j'aime changer de sujet, expérimenter de nouvelles formes d'écriture, tenter de nouvelles aventures. Il y a à l'origine le désir de ne pas m'enfermer dans un style, dans une thématique mais surtout cette diversité provient de ma curiosité. Celle d'aller au devant de ce que je ne connais pas, d'apprendre encore, de faire des recherches et de m'enthousiasmer pour un projet. Il est évident que c'est aussi ce qui a conduit mes années de journalisme. Ce plaisir de découvrir des histoires, des trajectoires, des vies. Je le décline aujourd'hui dans l'écriture de romans et d'albums. La fiction m'offre cette possibilité inouïe de pouvoir mêler le vrai au faux, la réalité à l'imagination. C'est une chance incroyable.
Le jour de June est, si je ne me trompe pas, votre premier roman historique jeunesse, paru en 2017, aux éditions Les Petites moustaches. D'où vous est venue cette idée de roman sur le thème du débarquement ?
Vous ne vous trompez pas et ce roman est très cher à mon cœur. C'est Sophie Gallo-Selva, l'éditrice des Petites moustaches qui m'a proposé d'écrire un roman pour sa nouvelle collection Héroïnes. Il pouvait s'agir d'un personnage réel ou fictif ancré dans une période historique. Je revenais d'une semaine en Normandie et j'avais visité les musées du débarquement des alliés lors de la deuxième guerre mondiale. J'avais été frappée par ces destins tragiques, tous masculins. L'idée d'inventer une femme ayant participé à cet événement s'est faufilée en moi et c'est ainsi qu'est née June. En me jetant dans l'écriture, après avoir effectué de nombreuses recherches, je lui ai créé un destin londonien dans ces années de Blitz et je lui ai fait croiser Robert Capa, le plus grand photographe de guerre de son époque. Une rencontre savoureuse pour moi et déterminante pour elle. Mais ce qui m'a le plus ébranlée, lors de cette rédaction, ce sont les lettres de ces jeunes soldats que j'ai lues pour être au plus près de leur vérité. Des missives pleines de peur, d'amour et d'émotion envoyées à leurs proches, dont ils savaient qu'elles contenaient sans doute leurs derniers mots, leurs dernières pensées...
Dans ce roman, votre personnage principal est une jeune fille, héroïne de la Seconde Guerre mondiale. Les filles occupent une place de plus en plus importante dans vos romans et albums, historiques ou non.
Comment analysez-vous cette plus grande visibilité des filles et femmes en littérature jeunesse ?
Comme autrice, je m'inscris dans un courant féministe et dans une époque qui mettent en avant les femmes. Après des années d'invisibilisation, il était temps de leur faire une place de choix dans la littérature. Et la littérature jeunesse a un grand rôle à jouer pour équilibrer les figures qui ont fait l'histoire, dès le plus jeune âge. Et ce, à tous les niveaux : scientifiques comme littéraires, aventuriers comme sportifs... Dans mes années d'études, je n'ai souvent eu comme modèles que des hommes. Or, émergent maintenant, grâce au formidable travail de recherche effectué sur les femmes à travers les siècles, des visages restés bien trop longtemps dans l'ombre. Pour tendre vers l'égalité des sexes il est plus que nécessaire de braquer la lumière sur celles-ci, de rétablir la vérité sur leur apport fondamental. Aussi, j'essaye de prendre part, à mon niveau, à ce mouvement qui me semble essentiel...
Moyen Âge (Christine de Pizan), époque moderne (À nous la Bastille !), XIXe siècle (Charbon bleu, Ada Lovelace), XXe siècle (Le jour de June, Ma blanche colombe, Le courage de mon père), vous avez déjà exploré de nombreux sujets historiques. Avez-vous une période préférée ?
Alors, non. J'avoue ne pas avoir de période préférée. Je ne suis pas historienne de formation, mais je vais aller là où me guide ma curiosité, mon envie du moment ou mon indignation. Mes sentiments pour tel ou tel fait sont ceux qui vont dicter la direction à ma plume. Une fois que mon intérêt est éveillé, je plonge !
Charbon bleu est un roman historique jeunesse paru en 2023, aux éditions D'Eux. Premier titre chez cet éditeur et c'est un véritable succès ! Les critiques sont unanimes. Comment est né ce roman ? Est-ce que vous avez déjà prévu de retravailler avec les éditions D'Eux ?
Ce roman a une histoire toute particulière. Il est né d'une discussion avec Marie Fradette, éditrice aux éditions D'Eux. Elle venait d'ouvrir une collection de romans ado, intitulée L'humanité au bout des yeux, et je lui ai envoyé un, deux romans qu'elle m'a refusés. Mais lors de l'un de ses retours (incroyablement bienveillants) elle a relevé une partie de l'un de mes manuscrits qui évoquait les mines de charbon. Elle m'a parlé de son amour pour le roman Germinal de Zola. J'avais le même ! Nous avons alors commencé à échanger et je lui ai proposé d'écrire un texte sur cette thématique. Elle m'a laissée libre de choisir l'époque, le lieu... tout. Sa confiance m'a portée. Elle m'a aussi dit une phrase magique : que peut lui importait que cela finisse bien ou mal. Cela m'a ouvert de nouveaux champs d'exploration. Plus qu'une discussion virtuelle, c'était une vraie rencontre à distance. Depuis, elle a accepté deux nouveaux romans que j'ai écrits pour elle (s) (Marie Fradette et les éditions D'Eux). Le prochain doit paraître en 2025... Les illustrateurs choisis avec un soin infini, tel Gérard Dubois pour Charbon bleu, renforcent le sentiment d'appartenance à une maison. Travailler ainsi, avec une telle confiance de la part de Marie et de l'éditeur Yves Nadon est un vrai bonheur.
Parlons maintenant de vos albums parus aux éditions À pas de loups : Calamity Jane, l'indomptable ; Christine de Pizan, la clairvoyante ; Ada Lovelace, la visionnaire ; Jeanne Barret, l'intrépide.
Vous mettez à l'honneur des femmes, qui ont toute marqué leur époque et ainsi, vous les remettez sur le devant de la scène, alors que la grande Histoire les avait « oubliées ».
Ce sont de très beaux albums, en duo avec l'illustratrice Claire Gaudriot. Comment a été mené tout ce travail d'écriture, le lien avec Claire, les demandes de l'éditeur ?
Cette série d'albums créés conjointement avec Claire et Laurence Nobécourt(éditrice d'À pas de loups) est une chance formidable. Je connaissais et avais déjà travaillé avec Claire, notamment pour un roman jeunesse P'tits gangsters chez À pas de Loups. Claire a réalisé une exposition à Limoges sur les cow-girls, notamment autour de Calamity Jane qui la fascinait, et lorsque Laurence l'a découverte, l'idée d'en faire un album a germé ! Elles se sont tournées vers moi pour le texte. Et l'envie de décliner des portraits de femmes « oubliées » est née de ce premier titre. Laurence, là aussi, nous laisse toute latitude pour choisir nos personnages, pour les mettre en mots et en images. Nous nous plongeons avec délectation dans les recherches, dans les ouvrages et les documentaires qui nous éclairent et nous en tirons notre propre interprétation avec toujours le désir de mettre en avant des parcours hors du commun, de mettre en lumière des femmes exceptionnelles. Le talent de Claire offre à ces visages et à leur environnement une beauté folle.
Jeanne Barret, l'intrépide est le tout dernier titre qui paraît le 4 octobre 2024. Elle a été botaniste, exploratrice et est la première femme à avoir fait le tour du monde en bateau.
Qu'est-ce qui vous a touché dans son histoire ?
Comme pour Christine de Pizan et Ada Lovelace, je ne la connaissais pas. Je l'ai découverte via un article lu par hasard dans Le Nouvel Ob'. Son image de jeune femme déguisée en marin m'a immédiatement séduite. Cette pastourelle, partie de rien, presque illettrée, dont le tempérament et le courage vont lui permettre de devenir l'assistante d'un grand botaniste et de naviguer sur les mers du monde en compagnie de l'explorateur Bougainville, m'impressionne infiniment. C'est cette force, cette détermination qui me touchent tant. Qui me donnent envie de partir à sa rencontre et de la faire connaître.
Grâce à l'album, et ici l'album à caractère historique, y avait-il le souhait de vous adresser à un lectorat plus jeune ? Tout enfant peut ainsi découvrir le parcours d'une femme et son époque, simplement par curiosité.
Il est évident que le format de l'album rend l'accès à une biographie plus aisée pour un lectorat plus jeune. Mais il est aussi vrai qu'ils ne sont pas dédiés à un âge précis. En dédicaces, Claire comme moi avons de nombreux adultes (hommes et femmes) intéressés par le parcours de ces femmes. Tous peuvent être attirés par les superbes illustrations et intrigués par ces figures féminines qu'ils peuvent (re)découvrir à travers un texte plus court qu'une biographie classique, mais dont je ne retiens ni le style, ni le vocabulaire. Ceci dit, les mettre entre de jeunes mains est un plaisir manifeste, afin de faire comprendre aux petites filles comme aux jeunes filles qu'elles ne doivent rien s'interdire. Qu'un sexe n'empêche rien et ce, depuis toujours et pour toujours !
Avant ce travail avec les éditions À pas de loups, vous avez aussi signé deux titres aux éditions Kilowatt : Ma blanche colombe : 1937, le bombardement de Guernica et Le Courage de mon père : 1930, Gandhi et la marche du sel.
Ces albums documentaires viennent là encore toucher un lectorat plus jeune parce qu'ils facilitent l'accès à la connaissance historique par le mélange des genres.
Mais ce format est-il aussi idéal pour venir explorer des sujets beaucoup moins, voire pas abordés en littérature jeunesse ?
La collection Un jour ailleurs de Kilowatt éditions est une formidable machine à explorer le temps. À travers une fiction, le jeune lecteur va suivre l'aventure d'un enfant pour apprendre un pan de l'Histoire. Je suis tout particulièrement heureuse d'avoir deux titres dans cette collection initiée par l'éditrice Galia Tapiero. Car l'accès à la connaissance est facilité grâce un super travail sur les illustrations, la maquette, les couleurs, le texte... Quant à la partie En savoir +, après avoir rappelé le contexte, elle ouvre le sujet sur l'avenir... du pays, de la loi ou de l'événement traités. Ce sont de formidables outils tant littéraires que pédagogiques. Les thématiques choisies le sont toujours avec beaucoup de soin et éclairent des faits plus ou moins médiatisés, plus ou moins connus. Une mine pour les curieux !
Et puis, parmi vos derniers livres parus, on retrouve le roman À nous la Bastille ! , aux éditions Poulpe Fictions.
À l'inverse ici, le sujet fait régulièrement l'objet de publications de fictions ou de documentaires pour la jeunesse. Pourquoi avoir eu envie d'écrire sur la Révolution française ?
Là encore c'est une éditrice qui m'a menée vers ce roman. Manon Sautreau avec laquelle je travaillais déjà pour les adolescents chez Slalom, m'a donné la possibilité d'intégrer une nouvelle collection historique pour les 9-12 ans chez Poulpe éditions. Elle m'a laissé choisir l'époque et j'ai immédiatement pensé à la Révolution. Pour une raison toute personnelle : lorsque j'étais petite j'écoutais la comédie musicale La Révolution française. Je l'adorais, d'ailleurs j'ai toujours le 33 tours ! Je connaissais toutes les chansons par cœur et c'est en l'écoutant en boucle que j'ai écrit À nous la Bastille !. Je voulais une histoire vive, avec des personnages attachants plongés au milieu de ce tumulte aussi magnifique que terrible. J'espère avoir réussi le défi !
Pouvez-vous déjà nous dire sur quel nouveau livre historique jeunesse vous travaillez ?
Alors comme évoqué plus haut, j'ai deux autres romans à paraître chez D'Eux. Le premier intitulé À fleur de flots évoquera la grande pêche à la morue, entre la Bretagne et l'Islande, au début du XXe siècle. Le second s'attache à parler de la première guerre mondiale, au cœur des tranchées, à travers le point de vue de deux soldats...
Un dernier petit mot pour les lecteurs d'Histoire d'en Lire ?
Déjà merci de m'avoir lue ! Et merci à Histoire d'en Lire de mettre si bien en avant cette littérature historique qui permet de renouveler l'apprentissage de l'histoire, de la rendre plus accessible et surtout plus humaine.
Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.
Interview réalisée le 17 septembre 2024.