En 1924, entre Paris et Douarnenez.
Yarig et sa sœur ainée Angèle sont des penn sardines, comme des milliers d'autres Bretonnes, elles travaillent dans les sardineries de Douarnenez, pendant que les hommes partent en mer pour pêcher. Mais c'est un travail particulièrement éprouvant et les femmes sont bien moins rémunérées que les hommes. Alors, comme d'autres, Yarig fait entendre sa voix et se joint à la grève.
Pendant ce temps, Angèle a été choisie par leur mère pour partir dans une famille bourgeoise à Paris et y être domestique. Yarig pense qu'elle mène la belle vie là-bas.
En ces années folles, la condition féminine commence à évoluer, les mœurs se libèrent, notamment pour Carol et Suzanne. Ce qui ne les empêche pas d'être hautaines et méprisantes avec leur domestique Angèle.
À Paris ou en Bretagne, les femmes doivent se révolter !
Citations "– La vie est dure pour tout le monde, ma petite ! Le beurre a encore augmenté : quinze francs le kilo ! la douzaine d’œufs est à plus de six francs, et la farine, et l’huile pour les lampes, et le café… Et toutes ces femmes qui ne veulent plus payer le repassage de leurs coiffes et me privent de travail…
Yarig soupire. Elle sait tout ça. Elle avale rapidement son café, à peine tiède, avant de sortir dire un mot. L’usine ne l’a pas appelée, ce matin. La tempête annoncée a laissé beaucoup de chaloupes amarrées dans le port, et les équipages qui ont pris le risque de sortir quand même sont rentrés bredouilles ou presque. Pas assez pour faire tourner toutes les usines. Pas de travail, pas d’argent. Quand la sardine n’est pas au rendez-vous…
[...]
La veille au soir, invitées par Joséphine, elles sont allées écouter le nouveau maire de la ville. Encore un rouge. Douarnenez, qui compte désormais presque 12 000 âmes a été la première ville de France à élire un maire communiste, en 1921 : Sébastien Velly, mort brutalement en juillet dernier d’une phtisie galopante. Ce maire qui lui succède depuis le mois d’octobre, ce Daniel le Flanchec, là, il dit des choses qu’elles comprennent très bien… Il leur ressemble, avec sa grande gueule et son œil borgne. Il sait ce que c’est que le travail, lui. Et il dit que travailler aussi dur pour gagner si peu, ce n’est plus possible.
– Surtout qu’on nous met à l’amende pour un rien ! a souligné Louise. On nous accuse de tout, d’un mot de trop, d’une « attitude » douteuse, ou même d’abîmer le poisson… Comme s’il n’était pas capable de s’abîmer tout seul, le poisson ! Tout est retenu sur notre paie, et en fin de semaine, parfois, il manque des heures.
– Et celles de nuit ne sont pas payées ce qu’elles devraient, ni nos heures supplémentaires. Quand je travaillais chez Chancerelle, c’était la même chose, a précisé Joséphine." p. 110-111
L'avis d'Histoire d'en lire
Après Les Vraies richesses, pour un lectorat plus jeune, Cathy Ytak aborde de nouveau la condition sociale et féminine au début du XXe siècle, mais cette fois-ci, plusieurs années après la Grande Guerre.
Deux duos de jeunes femmes
Pour développer le thème de la condition des femmes dans les années 1920, Cathy Ytak a imaginé deux duos de sœurs : Yarig et Angèle, âgées de 17 et 18 ans, elles sont bretonnes et travaillent dans les sardineries de Douarnenez comme des centaines d'autres femmes et jeunes filles.
Suzanne et Carol, un peu plus âgées sont deux bourgeoises parisiennes.
Tout les oppose, à commencer par leur cadre de vie.
Tout au long du roman, les dates se répondent à travers les chapitres. Nous suivons alternativement les sœurs bretonnes à Douarnenez, puis les sœurs parisiennes. Mais très vite, Angèle est amenée à partir pour Paris afin de devenir domestique chez Carol et Suzanne, leur mère Irina et son nouveau mari, Pierre-Guillaume.
Yarig est persuadée que son aînée vit la belle vie, même si elle est domestique. Bien loin de là, Angèle trime sans relâche, sans jamais gagner le moindre sou et doit supporter le mépris de ses employeurs. Cathy Ytak a réussi à dessiner des personnages aux caractères bien déterminés et chacune apporte beaucoup au récit. J'ai beaucoup aimé le courage et la détermination de Yarig, ainsi que l'intelligence et l'adaptation de Carol.
J'ai eu un peu de mal à entrer dans le récit mais passés les tout premiers chapitres, on est embarqués plus particulièrement par l'histoire des sardinières et leur mouvement de révolte.
Le combat des penn sardines
Outre cette opposition entre bourgeoisie parisienne et travail en usine, le roman Têtes hautesvient nous faire connaitre les grandes grèves qui ont secoué les sardineries de Douarnenez en 1924-1925. Yarig, restée sur place, est témoin et actrice lors de ce mouvement qui a gagné toute une ville et est aussi soutenu par les hommes ! Les grèves de Douarnenez sont connues jusqu'à Paris et c'est ainsi que le lien se fait avec la famille de Carol et Suzanne.
Têtes hautes est un roman très bien documenté, l'autrice a pu s'entourer de personnes qui lui ont amené les sources nécessaires au développement du contexte historique et social. Un roman qui rend un très bel hommage à celles qui ont su et pu garder la tête haute après ce combat de plusieurs semaines pour faire reconnaitre leurs droits.