Jonas a seize ans. Et voilà déjà six longues années qu'il est pensionnaire au Bois Vert, cet institut religieux qui entend bien effacer toute trace de culture indienne des nombreux enfants qui ont été arrachés à leur famille et qui vivent désormais sous ce toit. Dans deux mois, Jonas retrouvera sa liberté. Alors il a appris à rester discret, à ne pas se faire remarquer, laissant croire au père Séguin et aux sœurs qu'il est devenu un parfait petit catholique obéissant et discipliné. Mais que faire lorsque son amie Lucie lui demande expressément de tuer Séguin, n'en pouvant plus des agissements qu'il a envers elle ?
L'avis d'Histoire d'en lire
Le mardi 15 décembre 2015, le Premier ministre canadien Justin Trudeau demande solennellement pardon aux Autochtones du pays au nom de l’État fédéral. Nathalie Bernard se plonge alors dans de grandes recherches documentaires sur l'histoire des pensionnats autochtones qui ont existé entre 1827 et 1996 dans tout le Canada, des pensionnats qui avaient pour but d'éliminer toute trace de culture indienne chez les enfants de ces peuples. Elle recherche et lit de nombreux témoignages d'enfants indiens, survivants de ces pensionnats parce qu'il est bien question de survivants.
Le roman est écrit à la première personne et nous suivons ainsi Jonas, le narrateur, un jeune Indien âgé de 16 ans, arraché à sa mère à l'âge de 10 ans. Jonas décompte les jours qui le séparent de sa libération. Les mots sont forts dès le départ. On parle de libération quand on est emprisonné et c'est bien le cas pour tous ces enfants "pensionnaires" au Bois Vert. Rapidement, Jonas a su forger son caractère face aux brimades permanentes, à la violence, à la maltraitance endurées. Les Blancs veulent annihiler toute culture indienne chez ces enfants ? Qu'à cela ne tienne, Jonas se conduit comme un parfait petit "Blanc", ce que lui vaut d'ailleurs des reproches de la part d'autres pensionnaires. Mais Jonas n'a jamais renoncé à sa culture. Il donne seulement le change jusqu'à pouvoir quitter définitivement ces lieux. Mais comment faire quand ce quotidien est bousculé par les larmes de sa meilleure amie et l'injonction qu'elle lui fait : "Tue Séguin !".
Les chapitres s'enchainent au gré du décompte des jours et même parfois des heures. Certains passages sont extrêmement durs. Jonas ne tait rien, n'enrobe rien de ce qui se déroule au pensionnat du Bois Vert : la violence, les coups, les insultes, les viols... Et nous voyons toute la difficulté qu'a Jonas dans ses relations aux autres, sauf avec Lucie. Son mutisme lui vaut d'être tenu à l'écart, jugé proche des Blancs alors que le garçon n'a fait que se constituer une carapace de protection face à toutes ces agressions.
La seconde partie du roman est un thriller captivant. Parfois, il n'y a pas le temps de réfléchir, il faut agir sur l'instant, malgré les conséquences qui peuvent être énormes. Jonas suit son instinct de survie mais aussi d'humanité. Il a beau s'être forgé une carapace, il n'en reste pas moins proche des autres pensionnaires et accepte de prendre tous les risques pour sauver l'un d'eux. Une course poursuite haletante est engagée.
Le découpage des chapitres rompt parfois avec une pointe de regret ce rythme soutenu. La tension est permanente, le danger omniprésent.
Ce récit est effroyable et même si Nathalie Bernard précise en début de livre qu'elle a voulu écrire une fiction librement adaptée des faits réels, elle n'en reste pas moins saisissante. Un roman coup de cœur qui me rappelle celui d’Élise Fontenaille sur le même sujet, Kill the Indian in the child.