Début des années 1990, à Beyrouth, au Liban. Nada, 17 ans, son frère Habib, 15 ans, leur mère et leur grand-mère vivent dans la tradition catholique orthodoxe. Sans être considérée comme une famille riche, elle est suffisamment aisée pour "acheter" une domestique sur catalogue : la jeune Ife, originaire d'Ethiopie, rejoint la maison. Mais elle est noire et tatouée. Ife devra jouer de sa discrétion et docilité pour garder son emploi.
Citations "– Ya batil ! Non ! Ça ne fera pas partir les poux, ça n’enlèvera pas bien la saleté ! Diana, enfin, tu sais qu’on
leur coupe les cheveux ! C’est ça qui se fait ! Tu veux vraiment des parasites plein la maison ?
Qu’on essaie de me pardonner ce que, moi, je ne me pardonne pas. Alors que j’avais, à quelques mois près, l’âge d’Ife, j’ai pris le parti de ma grand-mère, et j’ai glapi :
– Je ne veux pas de poux, Maami !
Je n’avais pas de tresses, moi ; juste mes longs cheveux bouclés dont je prenais grand soin. À Zahlé, je les trouvais plats et ternes, mais l’air salin de la capitale paraissait les nourrir, les rendant soyeux.
Alors ma mère a soupiré, elle a saisi à pleine main une tresse et elle l’a coupée.
Le corps entier de la jeune fille a frémi, comme si on lui avait tranché un membre. À ce moment seulement, un éclair de culpabilité m’a traversée. Nous avons tous, au fond de nous, une appréciation basique du bien et du mal, et ce qui se produisait sous mes yeux était évidemment funeste. Mais rien n’est plus tenace que l’égocentrisme et, à peine venais-je de plaindre la jeune fille que déjà, je pensais à nouveau aux poux qu’elle aurait pu me transmettre." p. 20
L'avis d'Histoire d'en lire
Jean-François Chabas est un auteur qui n'hésite pas à faire un pas de côté et à venir aborder des sujets difficiles.
La culture libanaise
Avec le roman pour ados et adultes Ma petite bonne, Jean-François Chabas nous emmène au Liban entre le XXe et le XXIe siècles.
C'est un cadre qui nous est largement méconnu et dont on a un peu entendu parler dans les journaux télévisés lorsqu'il y a eu la terrible explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. L'auteur y fait d'ailleurs une rapide référence dans le roman pour les besoins du récit.
Tout au long du livre, on découvre une culture largement liée à la religion. Tout petit pays, le Liban accueille de nombreux courants religieux, qui tous ont des difficultés à cohabiter les uns avec les autres.
On apprend beaucoup sur l'alimentation, les classes sociales, l'habitat, les traditions, les déplacements... C'est un dépaysement total, l'auteur a su à merveille apporter toutes ces précisions pour qu'on s'imprègne de cette culture.
La condition des étrangers
Et ce petit pays traine aussi derrière lui une lourde tradition concernant l'emploi de domestiques, très souvent des femmes, venant d'Afrique ou d'Asie. Des jeunes filles achetées sur catalogue, payées une misère, à la limite de l'esclavage. Elles n'ont aucun droit, leur passeport est confisqué par leur propriétaire dès leur arrivée, elles sont victimes de racisme et parfois plus, de mauvais traitements, jusqu'aux viols. Cette situation est connue des Libanais et elle est jugée normale. Teta Albertine est le symbole même de ces pratiques, elle a des propos très virulents envers Ife, elle est raciste, elle la traite comme une inférieure. Nada a toujours grandi dans cet environnement, tout comme sa mère. Elle-même confirme au début qu'elle est dans le même état d'esprit.
Nada est la narratrice du roman. Elle est âgée de 45 ans quand elle entreprend de raconter l'histoire de sa famille et de leur domestique, Ife. Elle était alors une adolescente de 17 ans.
Ce qui est intéressant dans ce roman, c'est qu'on va suivre l'évolution de sa pensée, la remise en cause progressive du discours de sa grand-mère et de milliers d'autres Libanais qui pratiquent ainsi. Très timide d'abord, sa prise de position s'affermit progressivement, soutenue par son jeune frère Habib et par leur mère.
Un roman sur un sujet inédit, un lexique plutôt soutenu et ça fait du bien de lire un roman un peu exigeant. C'est une ouverture au monde, une prise de conscience de pratiques qui ont toujours cours ailleurs et qui doivent être remise en cause absolument !
Une fois n'est pas coutume, c'est un auteur masculin qui s'empare de la question des femmes, de leur condition qui reste encore très difficile dans certains pays du monde. C'est important de le souligner. La défense de la condition féminine concerne autant les femmes que les hommes, et le monde entier.
Très bon roman qui m'a touché et qui m'a beaucoup appris.