L'interview de WLODARCZYK Isabelle

WLODARCZYK Isabelle

Bonjour Isabelle Wlodarczyk,

Enseignante en collège et lycée pendant plusieurs années, vous avez voulu vous consacrer à votre passion de toujours : l’écriture. Ecrire pour les enfants, les rencontrer dans leurs classes ou lors de salons vous procure plus de joie, de satisfaction que votre métier d’enseignant ?

Quand j’interviens dans les écoles, je retrouve en effet plusieurs aspects de mon métier précédent… sans les inconvénients ! J’aimais enseigner quand je me sentais libre de faire écrire les enfants. J’ai mené de nombreux ateliers d’écriture en tant que prof. Mais il y avait le programme, la hiérarchie… Je préfère largement la liberté que j’ai aujourd’hui. Quand un auteur vient dans une classe, il rompt la routine. Les enfants sont enthousiastes. On s’amuse, on lit des histoires. L’auteur a clairement le beau rôle ! Ce sont des moments de partage que je savoure.

Votre bibliographie est très variée. Vous passez aisément de l’album pour petits aux romans historiques, via les documentaires sur la philo. Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans chacun de ces genres ?
J’apprécie particulièrement cette diversité. L’album est un genre très poétique. J’aime l’écriture ciselée, le fait de choisir chaque mot, de penser le texte en fonction de l’illustration, de laisser des espaces pour l’illustrateur, sans savoir ce qui s’y inscrira. Le texte d’album est aussi très proche du texte théâtral dans la mesure où il est un texte à trous : la représentation d’un côté, l’illustration de l’autre. J’aime beaucoup cette dimension que je trouve très riche. Le roman historique me donne une liberté différente : déployer les mots sans être limitée par l’espace, donner vie aux héros, les étoffer… Je suis aussi d’un naturel curieux, j’aime fouiller dans les archives, jouer les enquêteurs. Il y a un côté détective dans l’écriture de romans historiques. Les documentaires sont assurément ce qui me demande le plus de travail. C’est un travail de fourmi. Il faut tout vérifier. La plupart de mes documentaires sont des documentaires de philo. Je prends plaisir à trouver les moyens de traduire en quelques mots un concept et à essayer de le rendre clair…et distinct. La collection de philosophie chez Oskar comporte aussi une petite rubrique « À toi de jouer ». C’est un moment très ludique pour l’auteur aussi de trouver ce qui amusera les lecteurs… et un casse-tête parfois. Je suis très heureuse de contribuer – même si cela reste confidentiel – à la diffusion de la philosophie auprès des enfants.


Du côté des romans historiques, les sujets abordés sont là aussi divers : l’esclavage, la ségrégation, les Première et Seconde Guerres mondiales, l’époque de Louis XIV. Vous qui avez étudié le russe, la philosophie, les lettres, d’où vous vient ce goût, cet intérêt pour l’Histoire ?
En philosophie, j’avais une passion pour l’histoire de la philosophie. Je n’ai jamais aimé ce qu’on appelle la « philosophie générale ». Je prenais plaisir à analyser l’émergence d’un concept, son évolution. Les idées naissent et meurent. En philo, je me suis surtout consacrée au 17ème siècle. Quand j’écris une histoire qui se déroule à l’époque de Louis XIV, je prends appui sur mes connaissances en philosophie. Par la suite, j’ai fait des études de lettres autour de Molière et Descartes. J’ai donc passé de longues années sur cette époque. Pour le reste, je suis curieuse de découvrir. J’ai été marquée enfant par l’histoire de la Seconde guerre mondiale, à travers le récit que mon grand-père m’en faisait. Concernant la ségrégation, c’est une thématique récurrente en effet dans mes écrits. J’envisage un voyage au sud des Etats-Unis pour approfondir cette question et nourrir un autre projet.
Je ne suis pas historienne. Je me documente, je lis, et je demande des conseils à mes amis profs d’histoire.


L’esclavage (Yehunda), la ségrégation (L’Arbre aux fruits amers, Des blanches et des noires), la Shoah (Surtout ne prends pas froid) puis bientôt le Pakistan (La Bonne étoile de Malala), on vous sent profondément engagée, mobilisée pour raconter aux enfants les horreurs qui frappent les hommes, les femmes et les enfants dans le monde, qu’il s’agisse d’histoire récente ou plus lointaine. Dire, écrire sur ces sujets, sensibiliser sont les clés pour réveiller les consciences des enfants, citoyens de demain ?
Oui, j’aime faire prendre conscience aux enfants du monde qui les entoure. J’essaie d’éviter l’écueil du livre « pédagogico-démonstratif » qui fait passer l’écriture derrière le message. Les livres restent des œuvres littéraires dans mon esprit. La fiction prime. Mais s’ils donnent à penser…, c’est encore mieux ! Les enfants comme les adolescents sont particulièrement capables de s’indigner et de s’engager. Je m’appuie sur leur force, leur élan qui m’a toujours frappé quand j’étais prof.

Beaucoup de vos ouvrages sont parus aux éditions Oskar. Et justement, une nouvelle collection, Mes albums de l’Histoire, vient de voir le jour avec deux titres déjà publiés, Le Cœur en bataille et Des blanches et des noires. Ces récits ont été écrits avec des élèves de collèges de l’Hérault et l’éditeur a été partie prenante pour les publier ensuite ? Comment s’est passée la concrétisation de ce projet ?
C’est un projet que je suis très heureuse d’avoir pu faire aboutir. J’ai présenté l’idée de la collection aux Editions Oskar qui se sont montrées très enthousiastes. L’idée était simple : mêler documentaire et album autour d’un événement historique. Je souhaitais privilégier des récits de vie d’anonymes. D’autres collections existent déjà sur ce principe. Mais je voulais que la partie doc soit plus complète, et surtout qu’elle donne aux enfants une idée de ce que peut être la recherche historique : partir des sources. Les sources sont donc présentes dans les livres de cette collection. La dernière double page est une rapide introduction à la philosophie de l’histoire, parce que mon approche de l’Histoire est toujours liée à la philosophie… voire équivalente. J’ai un ami historien qui m’en a convaincu !
En chemin, j’ai décidé d’associer des collèges au projet. Le Cœur en bataille est une œuvre collective. Elle est le fruit du travail des collégiens de Gignac, d’une équipe de profs soudés et disponibles, des archivistes de Montpellier, et d’autres professionnels du livre. Nous avons fait les recherches collectivement. C’est moi qui ai écrit la partie narrative : elle m’a été directement inspirée par le travail de l’illustratrice, Aline Pallaro Lacroix qui a réalisé un travail remarquable. La partie documentaire est le reflet du travail des collégiens. Certains documents d’archives sont inédits et ont été dénichés par les élèves ou leurs professeurs. Je souhaite continuer à travailler ainsi pour d’autres opus à venir. C’est une grande satisfaction pour les enfants. C’est leur livre !


Et votre actualité du mois, c’est la parution le 19 mai d’un roman sur la jeune pakistanaise, Malala, La Bonne étoile de Malala. Beaucoup ont déjà écrit sur elle, son histoire, son engagement. Avec votre livre davantage synthétique, vous pensez là aussi toucher plus de lecteurs et donc mieux les sensibiliser au problème des Talibans et à l’histoire récente du Pakistan ?
La bonne étoile de Malala m’a été commandée par l’éditeur. Il souhaitait depuis un moment déjà inscrire ce titre à son catalogue. Plusieurs ouvrages sont sortis sur Malala. De mon côté, je souhaitais rompre avec l’aspect presque « hagiographique » des livres qui lui sont consacrés. Je me méfiais aussi du morcellement, ou du côté anecdotique. J’ai décidé d’introduire un autre personnage. Je voulais montrer la vie des jeunes talibans, aider les jeunes lecteurs à comprendre la vie des enfants au Pakistan, pas seulement à condamner. Le jeune homme n’est pas un méchant garçon : la réalité est plus subtile. J’aurais aimé traduire davantage encore le quotidien des Pakistanais, donner à voir aux lecteurs la vie des enfants de Mingora.

Et pour terminer, avez-vous un dernier petit message pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Contrairement à tout ce qu’on entend, je rencontre des enfants qui lisent beaucoup, des ados qui sont prêts à passer des nuits debout. Continuez !


Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.


Interview réalisée le 4 mai 2016.