L'interview de Gallimard jeunesse

Gallimard jeunesse

Bonjour Madame Roginski,
Vous êtes l’éditrice de la collection « Mon histoire » chez Gallimard jeunesse. Cette collection est née en 2005. Pouvez-vous nous en faire une petite présentation et nous dire comment est venue cette idée ?

Nous désirions aborder le roman historique d’une façon originale et très proche du lecteur. Nous avions remarqué en Grande-Bretagne et aux États-Unis le succès rencontré par les collections My Story et Royal Diaries, qui nous ont inspirés.
Le principe du journal nous paraissait intéressant car, lorsque le héros raconte ses aventures à son journal, il place le lecteur en confident, qui a donc le sentiment de vraiment partager le quotidien d’un jeune d’un autre temps. Il découvre ainsi de façon séduisante des temps forts du passé, il les comprend plus facilement. La lecture est aisée, rythmée par les dates. C’est la grande Histoire vécue à travers une histoire personnelle. Il existe de nombreuses collections de romans historiques pour la jeunesse, mais cette proximité du lecteur avec le récit historique me semble spécifique à Mon Histoire.


Outre l’écriture sous forme de journal intime ou carnet de voyage, quels sont les autres points que les auteurs doivent respecter pour ces romans ?
Je dois avouer que les contraintes sont nombreuses !

Tout d’abord, afin que le lecteur puisse s’identifier au héros, nous demandons aux auteurs de mettre en scène des enfants ou des adolescents. Car, même si la vie d’une princesse du XVIe siècle ou celle d’un Égyptien de l’Antiquité n’avait rien à voir avec celle d’un jeune d’aujourd’hui, il nous semble qu’il vaut mieux éviter un écart d’âge trop important.
La collection étant fondée avant tout sur le plaisir de lecture, le héros ne peut être un simple témoin d’événements historiques, mais se trouver au cœur du récit. Il lui faut une histoire personnelle forte.
Il doit également paraître crédible que les personnages historiques aient consigné leurs pensées. Dans le cas de personnages ayant existé, l’auteur est contraint par l’histoire et ne peut inventer de rocambolesques aventures à Anne de Bretagne ou à Cléopâtre. Qui plus est, il doit tenter de prêter une voix vraisemblable à ces grandes figures du passé, tout en offrant une expression accessible aux jeunes d’aujourd’hui. Pour les personnages fictifs, il est crucial que le fait d’écrire un journal ait été possible à l’époque (qu’il ne soit pas invraisemblable que les héros aient appris à écrire, notamment, ou tout simplement que l’écriture existe, impossible d’imaginer le journal d’un jeune de Cro-Magnon !).
Bien entendu, il y a une contrainte liée à l’écriture du journal. Une des premières questions que doit se poser l’auteur est : pourquoi mon héros consigne-t-il ses pensées ? Ce peut être pour tenir une promesse, pour supporter des épreuves ou pour garder un témoignage d’événements importants.
Ensuite : comment et sur quoi écrit-il ? Dans Martin, apprenti de Gutenberg, le jeune imprimeur mentionne le manque d’encre, la nécessité de tenir son carnet au sec... Alors que dans Li Mei, c’est le danger que représente le journal qui est évoqué : savoir lire et écrire étant interdit, l’héroïne risque la mort en tenant un journal, elle doit donc le cacher, trouver un endroit à l’abri des regards pour y écrire...
Enfin, en terme d’écriture : un journal va alterner des dates avec seulement quelques mots et de plus longues descriptions. Parfois, la narration s’arrête pendant plusieurs mois, il faut trouver une raison à cela. En outre, un journal ne saurait comprendre de notes, l’auteur doit donc expliquer des termes ou des événements de façon « naturelle ».


Personnages féminins, journaux intimes, ces romans se sont adressés d’emblée aux jeunes filles. Depuis 2010 sont parus des livres de la collection écrits sous forme de carnets de voyage ou de route avec des personnages masculins. En s’adressant également aux garçons, vous avez répondu à une demande ou est-ce vous qui avez voulu faire évoluer la collection pour qu’elle soit moins marquée pour les filles ?
Le journal intime étant une démarche plutôt féminine, nous avons choisi dans un premier temps de mettre en scène des jeunes filles. Mais si les filles n’ont aucun mal à lire des histoires dont le personnage principal est un garçon, l’inverse n’est pas tout à fait vrai. En outre, un héros masculin pourra vivre d’autres histoires. L’histoire d’une jeune Viking par exemple, n’aurait pas été aussi riche, les filles étant souvent confinées à des travaux d’intérieur ou n’apprenant pas à lire.

En 7 ans, presque 40 titres sont déjà parus. Avez-vous déterminé par avance un certain nombre de nouveaux livres à publier chaque année dans la collection ?
Oui, nous sommes sur un rythme de quatre nouveautés par an, deux au printemps et deux à l’automne

Comment sont décidés les nouveaux romans ? Est-ce vous qui démarchez les auteurs en ayant en tête des thèmes ? Est-ce que ce sont les auteurs qui vous font parvenir des manuscrits ?
Ce sont les auteurs qui, de par leurs connaissances et leurs envies, nous proposent de traiter un épisode marquant de l’Histoire (le naufrage du Titanic, l’Occupation) ou de mettre en scène une figure historique (Louis XIV, Constance Mozart). Généralement, ils nous soumettent un synopsis : la période, le héros, l’intrigue générale. Parfois, ils envoient les premières pages. Nous nous mettons d’accord sur le scénario et ensuite, c’est le travail éditorial classique. Il peut arriver que l’auteur nous fasse plusieurs propositions mais nous ne faisons pas de commande.
Oh, et en fait, je n’ai pas besoin de démarcher les auteurs, ils s’incitent les uns les autres à écrire pour la collection !


Les romans de la collection « Mon histoire » ont également une identité visuelle très marquée : livres cartonnés, fac-similés de journaux avec un effet coupe-papier sur la tranche. Tout de suite, il vous a paru indispensable que le genre du livre soit mis en valeur par un façonnage approprié ?
Il nous semblait que la couverture cartonnée, l’aspect coupe-papier ainsi que l’écriture « manuscrite » contribuant à donner l’impression d’un carnet trouvé dans une malle au grenier, cela favorisait l’identification du lecteur au héros.

Actuellement, pouvez-vous nous dire quelles sont les trois meilleures ventes de la collection ?
Marie-Antoinette (Kathryn Lasky), SOS Titanic (Christine Féret-Fleury), et Sissi (Catherine de Lasa).

Les romans de la collection « Mon histoire » sont disponibles au format ebooks. Est-ce que ce support trouve bien son public ?
Pour l’instant, de manière générale, les ventes de livres au format numérique restent marginales chez Gallimard Jeunesse. Et je pense que, pour s’immerger dans une période du passé, tenir un livre et tourner les pages reste précieux.

Deux nouveaux titres viennent de paraître pour cette fin d’année : Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, de Sophie Humann ; Anne, fiancée de Louis XIII, d’Isabelle Duquesnoy. Pouvons-nous déjà savoir quels sont les prochains romans prévus pour 2013 ?
Au printemps 2013 paraîtront le journal d’une Grecque, fille d’un comédien jouant Antigone, de Sophocle, et celui d’une adolescente juive d’Europe de l’Est émigrant avec sa famille aux États-Unis, en 1914. À l’automne, nous allons publier le carnet d’un jeune ouvrier sur le chantier de la tour Eiffel ainsi que le journal de Blanche de Castille, reine de France et mère de Saint Louis.

Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
J’espère que la collection vous plaît autant qu’à moi ! Je trouve captivant de partager de façon intime les émotions de jeunes des siècles passés, de découvrir sous une autre facette les personnages des manuels scolaires. Et j’ai la chance de travailler avec des auteurs passionnés. N’hésitez pas à nous faire part d’idées !

Je vous remercie pour votre réponse et vous souhaite une bonne continuation pour la collection Mon histoire.
Isabelle.


Interview réalisée le 23 novembre 2012.