Bonjour Evelyne Brisou-Pellen,
Vous êtes une auteure qui touchez à tous les genres littéraires : romans historiques, romans policiers, science-fiction, romans humoristiques, contes... Malgré tout, ce sont bien vos romans sur le Moyen Age qui restent les plus nombreux dans votre bibliographie. Mais vous estimez-vous suffisamment reconnue aussi pour vos autres romans ?
C’est vrai, on m’attribue souvent une étiquette Moyen-âge, mais on connaît malgré tout mes autres romans (Les Enfants, d’Athéna, La Vengeance de la Momie, À l’Heure des Chiens, La plus grosse Bêtises, Deux Graines de cacao, Un Cheval de Rêve etc.)
En tant que bretonne, beaucoup de vos romans se déroulent dans votre région natale, et ce, quelque soit la période historique. Vous êtes une véritable ambassadrice de la Bretagne ! Et justement, en avez-vous une certaine reconnaissance de la part des autorités locales ?
Pas spécialement. Je suis plus souvent invitée hors Bretagne qu’en Bretagne, vérifiant en cela (sans surprise) que nul n’est prophète en son pays.
En 2002 paraît Deux Graines de cacao. Bien connu des prescripteurs de littérature jeunesse (enseignants, bibliothécaires, libraires...), ce titre est désormais une référence concernant le thème de l’esclavage, de la traite des Noirs. Trouvez-vous justement qu’on ne parle pas encore assez de thème dans la littérature jeunesse ? Cela reste toujours un peu tabou ?
Je ne réfléchis pas ainsi, car je n’écris pas « pour quelqu’un », mais pour essayer de comprendre notre histoire. C’est au départ une démarche personnelle. Mais si cela peut aider d’autres à découvrir ces sujets qui me passionnent, j’en suis ravie. Je m’intéresse plus particulièrement aux modes de pensée, surtout ceux qui conduisent aux résultats les plus stupéfiants, comme de réduire en esclavage d’autres peuples, se décréter unilatéralement peuple supérieur, sexe supérieur ou détenteur de la vérité (en matière de religion ou autre).
Un si terrible secret est votre seul roman historique abordant la Seconde Guerre mondiale. Comme vous l’expliquez sur votre site, ce roman vous a profondément marqué pendant que vous l’écriviez. Outre ce fait en lui-même, l’histoire contemporaine nous émeut davantage, car elle est encore proche dans les mémoires. Pensez-vous renouveler cette expérience ?
Je ne sais jamais ce que je vais faire par la suite, j’erre au gré de mes découvertes. J’aime écrire des romans très différents sur des sujets très différents. La deuxième guerre mondiale a été extrêmement traitée, et j’évite les sujets bateau. Mais ce roman m’apporte la grande satisfaction d’être très étudié aussi bien en France qu’en Allemagne, ce qui prouve qu’il est consensuel. J’essaye de comprendre la nature humaine, de voir au-delà des événements historiques la part de chacun, que ce soit hier, avant-hier, ou dans des temps immémoriaux.
Garin Trousseboeuf, Ysée, La Tribu de Celtill, Les Messagers du temps, Les Protégés de l’empereur, ce sont là des séries sur différents événements et périodes historiques. Quand vous imaginez une nouvelle histoire, vous savez d’emblée si cela va être un roman unique ou déboucher sur une série ?
Je sais d’avance que ce sera une série si le sujet que j’aborde possède trop de facettes pour être bouclé en un seul roman. Dans mes débuts, j’écrivais surtout des romans uniques, parce qu'il y avait tant de sujets qui me tentaient que je ne voulais pas me consacrer trop longtemps à l’un ou à l’autre - bien que l’envie me démangeât souvent de retrouver mes personnages. Aujourd’hui, j’en ai traité tellement que je peux me permettre de me pencher plus longuement sur ceux qui m’intéressent particulièrement.
Abordons maintenant la série des aventures de Garin Trousseboeuf.
Nouveau tome cette année, réédition des précédents avec même de nouvelles couvertures cinq tomes. C’est une série qui continue de bien fonctionner auprès des lecteurs. Arrivez-vous à vous expliquer ce succès ?
J’aime beaucoup écrire des aventures de Garin, car je m’y amuse. Peut-être le lecteur a-t-il la même réaction…
Chaque aventure de Garin Trousseboeuf se déroule dans des lieux à l’histoire très marquée : le Mont-Saint-Michel, le Languedoc, Avignon, Venise... Outre les recherches documentaires que vous effectuez pour écrire vos romans, avez-vous visité tous ces lieux pour mieux imaginer vos histoires et les aventures qu’allait vivre Garin ?
Je suis allée partout, oui, mais j’ai surtout beaucoup travaillé sur la documentation, étape indispensable pour connaître les lieux à l’époque. Le danger en effet est de se laisser abuser par ce qu’on voit aujourd’hui, et qui est très prégnant lors d’une visite.
Plutôt étonnant pour une série, les aventures n’ont pas été publiées dans l’ordre chronologique de leur déroulement ! Au final, le lecteur n’est pourtant pas gêné, chaque tome étant une aventure différente même s’il y a bien sûr des éléments qui sont repris à chaque fois. C’est finalement pour vous que cela complique l’écriture ?
Oui, cela me complique l’écriture, mais si l’histoire que je veux raconter dépend d’un événement historique, je suis coincée par la date à laquelle il s’est produit. Et si je veux emmener Garin dans un lieu précis, il faut que matériellement il puisse s’y rendre, compte tenu de la date de ses autres déplacements.
Sept ans se sont écoulés entre le 12ème et dernier tome La Tour de Londres et le précédent Le Cheval indomptable. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire une nouvelle aventure de Garin ?
Juste un bavardage dans le train avec l’éditeur au retour d’un salon. On a parlé de Garin en passant, et j’ai dit que j’avais adoré le mettre en scène et que j’avais toujours des tas d’idées pour lui. Cependant, je n’envisageais absolument pas de remettre en train cette série.
Aussi quand, une semaine plus, la directrice de collection de chez Gallimard m’a appelé pour me dire que tout le monde était emballé à l’idée d’avoir un nouveau Garin, j’en ai été plutôt interloquée. D’autant que je travaillais sur la série Le Manoir, dont je ne pensais pas pouvoir me distraire. Et puis finalement… Garin… J’ai craqué. J’avais toujours eu envie de l’envoyer en Angleterre… Allez hop ! Il irait !
Et cela a donné La Tour de Londres.
Par ailleurs, ce roman comprend environ 100 pages de plus que les précédents et a été publié d’emblée en grand format. Pourquoi ce choix ?
Le choix du format est uniquement l’affaire de l’éditeur, il ne concerne pas l’auteur. Mais aujourd’hui, on sait qu’il est très difficile de sortir un texte directement en poche. Chez le libraire, il passe inaperçu, écrasé par l’avalanche des grands formats.
Avez-vous déjà le projet d’en écrire une 13ème ? Les dernières lignes de La Tour de Londres pourraient presque nous le laisser penser...
Et si suite il y a, s’intercalera-t-elle de toute manière entre les tomes existants ? Vous ne prévoyez pas d’aller au-delà de 1358 ?
Comme je l’ai dit, des idées pour Garin, j’en ai encore beaucoup en réserve, et si l’éditeur me le demande un jour, on verra… La suite s’intégrerait probablement entres les tomes existant, parce que je n’ai pas envie de faire trop vieillir Garin. Mais je peux aussi changer d’avis, je ne ferme jamais aucune porte.
Nicolas Wintz est l’illustrateur attitré pour cette série depuis son commencement. Comment s’est passée cette collaboration ? Avez-vous eu la possibilité de donner votre avis concernant son travail ?
L’auteur n’intervient pas dans le choix de l’illustrateur et, le plus souvent, il ne voit même pas ses dessins. Dans ce cas précis, Nicolas Wintz (que je ne connais pas personnellement) préfère m’envoyer ses dessins pour éviter toute erreur historique – toujours possible bien qu’il prenne grand soin lui-même de se documenter.
Côté romans historiques, pouvez-vous d’ores et déjà nous dire quel est ou quels sont vos prochains titres à paraître ?
En novembre, le 2ème tome du Manoir Cléa et la Porte des fantômes. Et le 3ème tome sortira à la fin du printemps 2014.
Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Mon plus grand bonheur est d’entendre des lecteurs dire : « Je n’aime pas les romans historiques, mais là, ce n’est pas pareil. On le lit comme si ça se passait aujourd’hui. »
C’est la raison pour laquelle j’évite le terme « historique », qui sent un peu le rance. Je préfère « qui se passe dans un autre temps ». Et on peut y imaginer des histoires beaucoup plus riches et passionnantes que dans le temps contemporain. Les possibilités de trame sont infinies. Et en même temps qu’une histoire d’amour, d’aventure, policière…, on découvre d’autres mondes.
Je vous remercie beaucoup pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.
Interview réalisée le 19 août 2013.