Bonjour Brigitte Heller,
Auteure de contes, de recueils, de romans pour la jeunesse, vous avez d’abord exercé comme rédactrice publicitaire. C’est un changement de cap total. Comment et pourquoi en êtes-vous venue à l’écriture de livres pour la jeunesse ?
J’étais rédactrice publicitaire dans les années 1985/1988, au siècle dernier !… Mon amour de l’écriture s’exerçait alors dans un but purement alimentaire. Je rédigeais les textes de présentation d’entreprises industrielles. Il fallait choisir des mots, déjà. J’éprouvais du plaisir à cela sans imaginer écrire des livres pour enfants un jour...
Au début de votre carrière d’écrivaine, vous publiiez plutôt des contes. Et dès 2011, votre bibliographie est résolument tournée vers la langue et la mythologie grecques. D’où vous vient cette passion pour la civilisation grecque antique ?
Mon premier recueil de contes est le fruit du hasard. Jeune maman occupée à lire des histoires, j’ai découvert dans une encyclopédie un texte court, extrait d’une œuvre de Pline le Jeune, évoquant l’amitié entre un dauphin et un enfant. Dès le lendemain je suis allée à la bibliothèque découvrir l’intégralité du récit et j’ai mis le nez dans un trésor ! Tout ce que les auteurs grecs et romains avaient noté sur ce même sujet. Des textes anciens d’une telle actualité… Ecologiques avant l’heure. Les grecs aimaient les dauphins, les respectaient, pêchaient avec eux… Et 2000 ans après nous les laissions mourir dans nos filets ! Cela a été pour moi une sorte d’électrochoc ! J’ai recueilli tous les témoignages, légendes, histoires de sauvetage, etc… et je les ai romancés pour les rendre accessibles aux enfants. J’ai envoyé le tout sans grand espoir à quelques éditeurs, mais Père Castor-Flammarion m’a contacté et le recueil a été publié !
Devenue boulimique de mythologie, j’ai écrit 10 légendes de chevaux et 21 contes des origines de la Terre, issus de textes du monde entier. Puis je me suis concentrée sur la civilisation gréco-romaine avec La grande ourse et 15 autres récits de constellations, 9 héroïnes de l’Antiquité, Le serment de Délos, etc…
Le changement de style et de thème, je les vois pour ma part dans l’écriture du « secret du Templier », roman historique sur le Moyen âge, et du peuple de l’Eau, roman d’aventure. Encore que ce dernier récit évoque le mythe de l’Atlantide, abordé à l’origine par Platon ! Mais dans ces deux ouvrages il a fallu que j’invente ! Pour moi c’est beaucoup plus difficile que de transmettre.
Avec le recueil 9 héroïnes de l’Antiquité paru en 2011, vous mettez à l’honneur 9 femmes légendaires ou historiques. J’imagine que le choix a été difficile pour n’en retirer que 9. Pourquoi ce nombre et quels ont été vos critères ?
Les héroïnes sont en effet très nombreuses et il est toujours difficile de faire un choix. Je vérifie d’abord si j’ai assez de « matière », c’est-à-dire de choses à raconter pour bâtir une histoire. Pas question d’inventer. Le plus difficile reste souvent d’opter pour telle ou telle version de l’histoire. De nombreux auteurs de l’Antiquité ont narré la vie de chacune d’elle, si bien que des interprétations très différentes existent. Quand c’est possible, je tache de choisir la version la plus gaie. En règle générale j’ai une documentation suffisante pour deux tomes. Mais je ne décide pas de tout malheureusement ! Je suis soumise aux contraintes de l’éditeur qui doit vendre ensuite mes ouvrages…
Petites histoires des expressions de la mythologie grecque et Petites histoires des mots venus du grec invitent les jeunes et moins jeunes lecteurs à s’intéresser à la richesse et à l’origine de notre langue française. A l’heure où l’étude des langues anciennes et notamment du grec ancien est si ténue, vous avez envie d’interpeller les enfants sur l’utilité et la richesse de cet apprentissage ?
Avec Petites histoires des expressions de la mythologie grecque, Petites histoires de famille dans la mythologie, Petites histoires des mots venus du grec, j’explore toutes les facettes de cette culture grecque qui m’enchante. Et j’écris dans le but de faire partager mon enthousiasme aux jeunes générations. Pour moi, remettre en cause l’apprentissage des langues anciennes est une énorme erreur. Regardez comme l’orthographe devient évidente en saisissant le sens d’éléments grecs tels que « ortho » : droit, et « graphein » : écrire. Non seulement vous savez à quel endroit placer les h, mais vous comprenez en plus le sens des termes qui contiennent ortho- ou -graphe ! En rédigeant cet ouvrage j’ai beaucoup appris et je me suis aussi beaucoup amusée ! En découvrant la civilisation grecque, les auteurs antiques, non seulement on s’ouvre sur le monde, son histoire, sa géographie mais on comprend mieux l’humain, ses passions, ses aspirations. 800 ans avant notre ère, Homère racontait déjà la difficulté de vivre, décrivait la nostalgie, l’absence, la passion, la guerre, l’amour. Ses réflexions n’ont pas pris une ride...
Je me suis trouvée un jour dans une classe venue échanger sur les « petites expressions de l’Antiquité ». Nous parlions du roi Midas, de son orgueil, de sa crédulité à croire l’or capable de lui offrir le bonheur. Nous parlions de ce que les grecs nommaient l’hubris, l’excès, la démesure, qui caractérise tant notre société actuelle. Et bien je me suis rendue compte que ces collégiens abordaient déjà les grands thèmes de la philosophie sans même en avoir conscience et qu’ils y prenaient plaisir. On a tort d’abaisser toujours le niveau des exigences. Il n’y a rien de plus triste qu’un jeune auquel n’a pas donné la clé de la réflexion. Regardez cette curiosité des grecs pour les autres, leur goût des voyages et de la découverte. Comparez avec la peur qui s’empare de certains d’entre nous en ce moment, vous comprendrez combien nous perdons en négligeant les auteurs anciens…
Deux de vos livres (Petites histoires des expressions de la mythologie grecque et 9 héroïnes de l’Antiquité) font même partie de la sélection Collège établie par le Ministère de l’Education nationale. Est-ce que cette reconnaissance vous touche autant que celle de vos lecteurs ? Trouvez-vous que cette sélection soit prescriptrice ?
J’ai la chance de n’avoir pas simplement 2 mais 5 livres dans la sélection collège de Flammarion Enseignants. Je suis ravie de voir mon travail apprécié et mis en valeur, d’autant plus que je ne suis pas quelqu’un du sérail. Les professeurs ont contribué au succès du recueil des « Petites expressions venues de l’antiquité ». J’espère qu’ils apprécieront mes « petites histoires des mots ». Mais quelle joie si, malgré son air sérieux, cet ouvrage plait aux jeunes lecteurs !
Et pour terminer, avez-vous un dernier petit message pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Lire c’est rêver, rire et pleurer, découvrir et voyager. Un livre peut vous sauver la vie : dans la plus grande des détresses, la pire des solitudes, il reste l’ami le plus fidèle, celui qui apaise, console, et vous fait toucher du doigt le bonheur.
Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une bonne continuation.
Isabelle.
Interview réalisée le 29/12/2015.