Bonjour Béatrice Nicodème,
Nous allons ici aborder plus spécialement vos romans parus aux éditions Gulf Stream, dans la collection Courants noirs : Ami, entends-tu... (2008) et Les Gentlemen de la nuit (2010). Pouvez-vous nous dire comment est née cette collaboration avec cet éditeur ?
J’avais ce roman (Ami, entends-tu...) en tête depuis deux ou trois ans, et j’étais certaine que je l’écrirais un jour. Mais les éditeurs avec qui j’avais pris contact jugeaient qu’il y avait déjà bien assez de romans sur cette époque. Il se trouve que Thierry Lefèvre, qui a créé la collection Courants Noirs chez Gulf Stream, est un ami et même un complice puisque nous avons écrit ensemble quatre romans policiers chez Nathan (série Europa, mettant en scène deux adolescents qui voyagent dans différents pays d’Europe). Lorsqu’il a créé la collection, je lui ai parlé de mon projet, et voilà !
Selon vous, quels sont les avantages et inconvénients d’avoir publié vos romans dans cette collection ?
Je trouve cette collection à la fois très belle esthétiquement (j’adore les couvertures d’Aurélien Police) et très éclectique dans ces choix. Je suis vraiment heureuse d’être l’un de ses auteurs car je pense qu’elle est de grande qualité à tous points de vue.
Ami, entends-tu... est un roman sur la Seconde Guerre mondiale. C’est un évènement historique déjà largement traité dans la littérature jeunesse. Mais vous avez choisi de mettre en avant la Résistance, qui est là un sujet moins exploité. Le témoignage de votre personnage Félix Pasdeloup est-il inspiré d’une histoire vraie ?
Non, c’est une histoire que j’ai imaginée en me demandant comment un adolescent avait pu réagir face à l’Occupation. Félix, mon héros, a au début une vision manichéenne des choses et porte des jugements à l’emporte-pièce comme c’est souvent le cas à cet âge (il a 13 ans). Mais la réalité va lui montrer que l’être humain présente de multiples facettes, que peu de personnes sont tout d’une pièce. C’est d’ailleurs un thème qui m’est cher d’une manière générale.
Ma préoccupation, quand je commence à penser un roman, est de créer des personnages « vrais » auxquels on puisse croire, et de construire une histoire totalement vraisemblable, qui aurait pu être réelle.
En revanche, si l’histoire est imaginaire, je me suis largement inspirée des souvenirs de mes grands-parents, qui ont habité à Nantes durant cette époque terrible. Enfant, leurs récits m’ont beaucoup impressionnée et je savais que, si un jour j’écrivais un roman se déroulant pendant l’Occupation, il ne pourrait se passer qu’à Nantes, et en particulier en 1943, l’année de ces effroyables bombardements.
Changement d’époque et de décor complet avec Les Gentlemen de la nuit. On a là un thème beaucoup moins connu du grand public : la contrebande au 18ème siècle sur une île anglaise. Comment vous est venue cette idée de roman ?
Lorsqu’il s’agit d’un épisode historique peu ou pas connu, comme ici, cela nécessite-t-il plus d’appui pour intéresser les lecteurs ?
L’envie d’écrire Les Gentlemen de la nuit est née en Angleterre. Je passais une semaine sur la côte du Dorset et, comme toujours lorsque je me balade, j’ai feuilleté dans les librairies des livres sur la région et sur l’histoire. Je suis ainsi tombée sur plusieurs petits ouvrages extrêmement bien faits et très concrets sur la contrebande dans le sud de l’Angleterre durant les siècles passés. J’ai tout de suite pensé que ce serait un cadre formidable pour des romans pour la jeunesse. J’aime la mer, j’aime les îles et j’aime l’Angleterre, ce qui fait qu’écrire ce roman a été un vrai bonheur ! J’ai essayé de restituer le plus fidèlement possible la façon de vivre de ces hommes et de ces femmes pour qui la vie quotidienne était si difficile, et de me pencher sur les conflits qui pouvaient animer les protagonistes des deux camps (aventuriers et tenants de l’ordre).
Il est vrai qu’un roman qui se situe durant une période très familière, en particulier si elle est étudiée en cours d’histoire, va peut-être attirer de façon plus immédiate. C’est d’ailleurs parfois un peu irritant de voir que beaucoup de lecteurs (et pas seulement les jeunes !) vont d’abord vers ce qui est déjà connu... Mais je pense que la couverture et la quatrième de couverture devraient attirer tous ceux qui aiment le souffle de l’aventure et les personnages forts. Je ne peux écrire que sur un sujet qui me touche profondément, en espérant bien sûr que les lecteurs seront au rendez-vous.
Vous avez également écrit deux nouvelles (Les Fruits de la passion et Précieuse liberté) dans le recueil Zoo criminel, toujours dans la même collection. Toutes deux ont une intrigue se déroulant pendant l’époque moderne, mais à des dates et des lieux bien différents. Cette multitude d’époques et de lieux traduit-elle justement la diversité de vos goûts alors qu’on va trouver d’autres auteurs plutôt ciblés sur une période ?
Je crois que j’aurais beaucoup de mal à me spécialiser dans une période. Ce qui me passionne dans le roman historique, c’est en partie que cela me permet de découvrir moi aussi une période dont je n’ai pas forcément une image très claire au départ. La phase de recherche et de réflexion est assez exaltante. C’est d’ailleurs pourquoi je ne peux me lancer dans un projet sans cette étincelle première qui me donne une très forte envie d’approfondir, d’accumuler les lectures, de me transporter moi-même en ces temps plus ou moins reculés, où la vie est bien différente de la nôtre mais où on retrouve immanquablement les mêmes passions, les mêmes craintes, les mêmes conflits que de tout temps. Il me semble qu’une période donnée de l’histoire touche plus ou moins un auteur ou un lecteur selon qu’elle entre plus ou moins en résonance avec son atmosphère intérieure.
Avez-vous déjà prévu d’écrire d’autres romans pour la collection Courants noirs ? Si oui, pouvez-vous déjà nous dire quels contextes historiques allez-vous évoquer ?
Je suis justement en train d’écrire le troisième roman. J’y reprend mon personnage de Wiggins, le chef des Irréguliers de Baker Street qui travaille pour Sherlock Holmes. Mes précédents romans le mettant en scène s’adressaient à des lecteurs plus jeunes (disons de 9 à 12-13 ans). Dans celui-ci, Wiggins a mûri puisqu’il a maintenant vingt ans. Il est amené à enquêter dans un collège anglais, un milieu d’adolescents pour la plupart aisés qui est pour lui tout à fait "exotique". Et plus j’avance dans mon travail, plus je me rends compte à quel point les problèmes de cette époque (fin du 19ème siècle) étaient proches de ceux de la jeunesse actuelle : drogue, racket, racisme... Le monde, malheureusement, ne change pas vraiment. L’histoire a cela d’extraordinaire qu’elle apporte une évasion merveilleuse sans pour autant nous éloigner de la profonde réalité humaine.
Un dernier petit mot pour les lecteurs d’Histoire d’en Lire ?
Que leur dire, sinon les encourager à découvrir sans cesse de nouveaux univers, à voyager dans le temps et à découvrir, à travers les hommes et les femmes de tous les temps, ce qui fait la richesse mais aussi les difficultés de la nature humaine ?
Je vous remercie pour vos réponses.
Isabelle.
Interview réalisée le 23 août 2011.