L'avis d'Histoire d'en lire
Huit ans, c'est le temps qu'il aura fallu à Ruta Sepetys pour s'immerger au plus près de l'histoire contemporaine espagnole et écrire ce roman qui
couvre une bonne moitié de la dictature de Franco : 1957-1975. Mais cette dictature prenant ses racines pendant la guerre civile de 1936-1939, j'ai fait le choix de catégoriser le roman dans la rubrique sur ce conflit pour mieux le valoriser.
La dictature de Franco
En début de livre, avant même que ne commence le récit, Ruta Sepetys rappelle en un paragraphe les circonstances de l'arrivée au pouvoir de Franco en mars 1939. C'est suffisant pour apprécier ensuite le développement qui est fait de la dictature jusqu'à la mort de celui-ci le 20 novembre 1975.
Comme elle l'explique dans ses notes et ses remerciements en fin de livre, Ruta Sepetys a mené
un long et pointilleux travail de recherche pour s'imprégner de la réalité du quotidien sous ce régime dictatorial. Il n'y a qu'à voir la longue bibliographie citée et les nombreuses personnes qui ont travaillé pour Ruta Sepetys pour se rendre compte de la qualité de la documentation.
Mais comme elle le précise également,
Hôtel Castellana est une fiction historique, mettant en scène des personnages fictifs évoluant dans un cadre historique réel.
Les destins croisés
L'autrice implante son récit à Madrid, la capitale espagnole et plus précisément à l'hôtel Castellana, palace réservé à la haute société américaine en séjour plus ou moins long dans le pays. C'est là que nous rencontrons Daniel Matheson, ses parents et d'autres riches Américains qui font des passages plus ou moins récurrents dans le texte.
Et c'est là aussi que nous rencontrons d'autres personnages récurrents, des employés de l'hôtel pour qui ce travail est indispensable pour survivre. C'est le cas d'Ana Torres Moreno qui habite dans le quartier pauvre de Vallecas. C'est elle qui doit être aux petits soins pour la famille Matheson, d'où sa rencontre avec Daniel et un rapprochement qui se fait petit à petit entre deux. Daniel n'est pas un riche Américain comme les autres et la photographie est un sujet commun de discussion. Daniel aimerait devenir photojournaliste plutôt que de succéder à son père dans son entreprise pétrolière. Pour participer au concours Magnum récompensant les meilleures photographies, il s'immisce dans le quotidien de la population défavorisée espagnole pour prendre les meilleurs clichés et montrer au monde entier la réalité de la dictature de Franco, un dirigeant qui fait d'ailleurs une apparition remarquée dans le roman. Pourtant, le risque est omniprésent, la Guardia Civil veille. Et le risque est aussi pour Ana qui peut perdre son emploi à tout instant si elle se montre trop proche d'un client. Mais Ruta Sepetys saisit l'occasion de développer une belle mais peut-être douloureuse romance.
D'autres personnages ont leur importance : Rafa, le frère d'Ana qui travaille dans un abattoir et aide son ami Fuga à devenir un torero ; Julia, la grande sœur d'Ana qui vit avec son mari Antonio et leur bébé Lali à Vallecas. Depuis la mort de leurs parents, tués parce qu'ils étaient républicains, la fratrie vit ensemble pour se soutenir et se faire oubliés des autorités. Puri, la cousine d'Ana qui travaille à l'Inclusa, un orphelinat de Madrid et qui se pose de plus en plus de questions sur les origines des enfants accueillis dans cet institut.
Les chapitres, plutôt courts, alternent ces différents points de vue pour mieux englober toute la complexité de cette période. Le rythme du récit est donc plutôt lent, mais nécessaire pour bien comprendre tous les liens qui se font entre ces multiples protagonistes.
Les enfants volés du franquisme
A travers le personnage de la pieuse Purification, la cousine d'Ana, Ruta Sepetys aborde un point méconnu de la dictature de Franco :
les enfants volés à leurs parents biologiques pauvres et/ou républicains, déclarés comme morts à la naissance ou abandonnés pour être ensuite adoptés et éduqués par des bonnes familles espagnoles adeptes du franquisme. Comme le précise l'autrice en fin d'ouvrage, on estime à environ 300 000 bébés qui ont été volés entre 1939 et la fin des années 1980 pour être vendus. Tout le procédé nous est dévoilé petit à petit tout au long du roman. Un dilemme se pose à la mort du dictateur : faut-il fouiller dans les archives pour retrouver les origines de tous ces enfants et leur permettre de renouer avec leur famille ou taire cette page douloureuse et passer à autre chose ?
Le rôle des Etats-Unis
Nous le savons et c'est rappelé en début de livre, Franco est parvenu à prendre le pouvoir avec le soutien de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste. On apprend dans ce roman que le soutien des Etats-Unis a sans doute beaucoup contribué à ce qu'il le garde jusqu'à sa mort. Régulièrement, des extraits d'archives des autorités américaines sont insérées entre les chapitres. Bien que fictifs, ces écrits d'officiels américains montrent clairement l'implication des Etats-Unis dans les affaires espagnoles, notamment celle des bébés volés. De quoi appuyer sur la volonté pour les Etats-Unis de s'adapter au franquisme pour leurs propres intérêts.
L'après dictature
Hôtel Castellana est un roman en deux parties. La première, la plus longue, couvre l'année 1957 sur environ 450 pages et la seconde partie se déroule 18 ans plus tard en 1975 et 1976.
Les principaux protagonistes se retrouvent à Madrid à l'hôtel Castellana devenu l'InterContinental. Le moment est venu de dire les choses, de penser à l'après, de se demander s'il est bon de tourner la page ou de permettre aux familles de se retrouver.
Chaque partie amène son lot d'émotions. La première est plus violente, brutale. On vit le fossé entre la richesse américaine et la pauvreté espagnole. Nous sommes témoins de l'odieux plan qui consiste à voler ces milliers de bébés et enfants.
La seconde partie est très forte également. 18 ans se sont écoulés, la vie s'est poursuivie pour les uns et les autres. Ces retrouvailles et ce qu'elles vont révéler sont prenantes.
Dense et remarquablement bien documenté,
Hôtel Castellana est un roman d'exception sur la dictature de Franco que je conseille autant aux ados qu'aux adultes.
A lire aussi, d'autres chroniques du roman
Hôtel Castellana de Ruta Sepetys :
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Hôtel Castellana sur le blog AnaLire
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Hôtel Castellana sur le blog Le Boudoir du livre
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Hôtel Castellana sur le blog My Pretty Books
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Hôtel Castellana sur le blog Focus Littérature.