Le 11 novembre 1960, à Alger, les Français sont étrangement bien plus nombreux que d'habitude à commémorer l'armistice. Fatima, son jeune frère Raïd et leur baba apprennent qu'ils sont là pour manifester en faveur d'une Algérie française. Désireux d'en apprendre plus, baba ordonne à ses enfants de rentrer pendant qu'il reste en ville. Un mois plus tard, la mère de Fatima et Raïd est toujours sans nouvelles de son mari. Alors, tout trois se joignent au cortège grossissant de femmes et d'enfants qui défile dans les rues d'Alger pour demander l'indépendance du pays. Mais, séparée de sa 'umi et de son frère, Fatima est blessée par balle.
Après sa convalescence, considérée comme orpheline, elle est emmenée en France et est adoptée par un couple de Français, Francette et Maurice Chadois. Âgée de douze ans à son arrivée, Fatima est rebaptisée Fabienne et les Chadois entendent bien faire d'elle une parfaite petite Française...
Citations "- Vous risquez pas des ennuis, René ?
- Je voudrais bien voir ça. Non, on risque rien, rassure-toi. Un de plus un de moins... Pis ensuite on s'est baladés, et on a vu les flics qui faisaient tout comme nous. C'était devenu un sport national le lancer d'Arabe dans la flotte.
René a marqué une pause. Pourtant il n'en avait pas encore fini :
- Ecoute, je t'ai pas demandé parce que j'osais pas, Francette...
- Quoi donc mon René ?
- Pourquoi t'as pris cette fille ? Fatima ? Ça me fait drôle de savoir que tu nourrissais une enfant de moukère.
- Fabienne... René, elle s'appelle Fabienne maintenant. On voulait un enfant, plutôt une fille à adopter parce que tu sais qu'on peut pas en avoir naturellement, et une Française c'était pas commode. La croix et la bannière pour en trouver. C'est long et faut remplir un tas de paperasse...
Alors, quand on a su qu'il y avait des disponibilités ailleurs, eh bien on n'a pas hésité. Pour le coup, les papiers, là, c'était plus simple. On nous demandait pas le Pérou.
- T'es une sainte, Francette, à t'occuper de cette race. Bon, allez, il est tard, je vous quitte, j'suis crevé... Salut Maurice.
Madame a raccompagné René jusqu'à la porte. Elle lui a dit au revoir et s'est inquiétée pour son beau-frère :
- Fais attention quand même René, les rues ne sont pas sûres ce soir..." p. 48-49
L'avis d'Histoire d'en lire
Les "événements d'Algérie" restent encore trop peu évoqués en littérature jeunesse et/ou ado et pourtant, Baba ! est le second roman de Christophe Léon sur le sujet, après La Guerre au bout du couloir, que j'avais également beaucoup aimé.
Une enfance dans la guerre
Avec Baba !, Christophe Léon nous invite à suivre l'histoire de Fatima, jeune Algérienne de 11 ans en 1960. A cette époque-là, l'Algérie est sous domination française. Et l'auteur rappelle les principaux éléments du contexte : manifestation française à Alger le 11 novembre 1960, manifestation algérienne pro-indépendance le 11 décembre 1960, massacre d'Algériens à Paris le 17 octobre 1961, puis le tant attendu cessez-le-feu le 19 mars 1962.
Puis, il laisse la narration à Fatima qui écrit ses souvenirs à Paris en 2019. Elle est âgée d'environ 70 ans et repense à son enfance chamboulée par une guerre qui ne dit pas son nom.
Dès le début du roman, Fatima entend raconter son histoire, certes à la première personne du singulier, mais en souhaitant englober l'histoire de tous les enfants algériens touchés par ce conflit. Il y a les "événements" dont elle est témoin, tels que cités ci-dessus et elle-même est prise dans cette tourmente.
Entre Algérie et France Construit en deux grandes parties, Baba ! fait des allers-retours permanents entre les événements en Algérie, l'exil forcé en France, l'enfance encore heureuse de Fatima et de sa famille. Et même si l'on passe rapidement d'un temps à un autre, au fil des paragraphes, je n'ai pas du tout été déstabilisée par cette construction. Le récit est fluide et on comprend que Fatima a besoin de raconter son parcours, sans en passer par une narration purement chronologique. Ici, les éléments s'emboitent, se répondent et façonnent la fillette.
La première partie est consacrée aux événements d'Algérie, l'opposition entre Français et Algériens, l'éloignement forcée de Fatima d'avec sa famille, les assassinats d'Algériens à Paris le 17 octobre 1961.
La seconde partie est celle de la volonté de Fatima de retrouver les siens. Elle peut compter sur l'aide précieuse de Solange et Salim. Un retour au pays risqué mais impératif pour la jeune fille qui souffre terriblement de l'absence de ses parents et de "l'éducation forcée à la française" voulue par les Chadois.
Baba ! est un roman qui m'a beaucoup touché. Cette narration à la première personne et cette histoire racontée de manière décousue nous rendent plus proches de Fatima et de ce qu'elle a vécu. On souffre avec elle de l'arrachement à sa famille, la perte de repères une fois en France. Il y a toute une réfléxion autour de l'éducation forcée des enfants algériens emmenés en France, le racisme omniprésent et extrêmement violent, et la condition féminine en Algérie et en France au début des années 1960.
A travers le récit d'une jeune Algérienne, Christophe Léon retrace des événements encore douloureux pour de nombreuses familles mais dont il est important de parler aux jeunes d'aujourd'hui, alors que le racisme est toujours aussi virulent dans nos sociétés.